samedi 4 juillet 2015

Robert (Bac 1959) l'incomparable qui sifflait pour travailler


Comment Robert Wurtz, bachelier au Gymnase en 1959,  est devenu un arbitre exceptionnel, qualifié par les Brésiliens de "Nijinski du sifflet": 




Robert Wurtz a passé sa carrière à fouler les pelouses de France, d’Allemagne, du Mexique ou d’Argentine en crampons. Désormais, c’est pieds nus qu’il arpente le macadam de Climbach (Bas-Rhin) quand il va chercher son pain, ou les chemins forestiers alentour quand il part en promenade. Plus besoin de chaussures. Après tant d’années à « bourlinguer, tourner, foncer, demander sans cesse : “Où je vais ensuite ?” », le petit homme de 73 ans n’a plus la bougeotte.
« Le premier devoir du citoyen, c’est le calme », lui a-t-on dit un jour. Si c’est vrai, alors Robert Wurtz (bien prononcer « vurtz », et non « vourtz ») est un citoyen modèle, tant sa vie d’aujourd’hui illustre le concept de retraite paisible, entre nature, lecture, sudoku et amer-bière-citron sur la terrasse de sa maison aux côtés de sa femme et de sa fille. De quoi compenser l’agitation de sa vie d’avant, qui s’est achevée le 2 juillet 2007 par un AVC à l’issue du tournage de l’émission « Intervilles », où il avait été engagé pour jouer le même rôle que celui qu’il occupa pendant trois décennies sur les terrains de football : arbitre.

S’il est le seul homme en noir dont le patronyme soit célèbre en France, c’est que monsieur Wurtz n’était pas un arbitre. C’était un artiste. « Robert Wurtz se produira demain soir au stade de Gerland », pouvait-on lire dans Le Progrès. On allait au stade pour le voir, autant que les 22 joueurs qui gravitaient autour de lui. Fils d’un clarinettiste et d’une artiste des chœurs à l’opéra du Rhin, Robert Wurtz était un spectacle à lui tout seul, comme il le répète souvent, de sa voix qui rappelle celle de Frédéric Mitterrand, l’accent alsacien en plus : « Je faisais du théâtre là où il est interdit d’en faire. »
Le Strasbourgeois se laissait volontairement décrocher des actions pour les rattraper grâce à des sprints tonitruants, la foulée ample et bondissante. S’il était sur la trajectoire d’une passe latérale, il esquivait le ballon à la façon d’un torero, surtout lorsqu’il arbitrait à Nîmes. Pour détendre une atmosphère hostile, il s’allongeait sur le terrain et faisait le mort, où s’agenouillait devant un joueur ou un entraîneur pour l’implorer de garder son calme, comme il le fit lors d’un PSG-Auxerre au Parc des Princes devant Guy Roux, lequel, image mémorable, s’agenouilla à son tour. Wurtz quittait parfois la pelouse sous l’ovation du public, auquel il répondait en serrant le poing comme pour dire que c’est lui qui avait gagné le match.

En 1974, il part arbitrer une série de rencontres amicales au Brésil, dont l’une oppose la Seleçao à la Roumanie. Les locaux mènent 2-0 au bout d’une heure, le match sombre dans l’ennui. Alors Wurtz commence son numéro, enchaîne les sprints de 80 mètres sans raison particulière, et fait étalage de sa gestuelle théâtrale. « Le public brésilien, qui s’emmerdait parce qu’il ne se passait plus rien, a commencé à se dire : “Mais qui c’est celui-là ?” A la fin du match, il y avait trente journalistes qui m’attendaient. Le lendemain, l’un d’entre eux a écrit dans O Globo que j’étais le “Nijinski du sifflet”, et ça a fait le tour du monde. » Le quotidien allemand Bild lui attribuera pour sa part le surnom de « Karajan ». En ex-Yougoslavie, il sera, plus sobrement, « le Professionnel ».

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Car on a tellement retenu le saltimbanque qu’on en a presque oublié l’excellent arbitre, le meilleur de France en 1971, 1974, 1975, 1977 et 1978, selon le vote des journalistes. Robert Wurtz aurait préféré être footballeur, porter les couleurs du Racing Club de Strasbourg et enflammer la Meinau, lui qui est né à 800 mètres de ce stade où, entre ses 5 ans et ses 15 ans, il n’a loupé que deux matchs : « Le premier à cause de ma confirmation, Strasbourg-Monaco, 5 à 0. Et le second, Strasbourg-Alès, en division 2, 9 à 3. Il pleuvait, j’avais 40 de fièvre, j’ai pas pu y aller, j’ai pleuré. »
Mais pas assez doué techniquement, il s’est tourné vers l’arbitrage, à moitié pour rester dans le milieu du foot, à moitié pour éviter de grossir. « Au début, je n’y connaissais rien, mais je me disais : “Tant que je serai à côté du ballon, on ne pourra pas dire que je ne vois pas.” » Alors que ses prédécesseurs travaillaient « presque endimanchés » et au trot, il fut le premier arbitre à cavaler autant que les joueurs, et on le voyait parfois, selon la jolie formule d’un confrère, « déborder l’ailier qui était en train de déborder » : « Vous allez dire que je me flatte, mais il paraît que j’ai révolutionné le système. »
Sa qualité lui valut d’officier lors d’une ribambelle de matchs au sommet en France, d’une finale de Coupe des vainqueurs de Coupe (1976), d’une finale de Ligue des champions (1977), de deux Euros (1976 et 1980) et, consécration suprême, de deux rencontres de la Coupe du Monde 1978 en Argentine, laquelle faillit pourtant lui passer sous le nez à cause d’une hépatite contractée quelques mois plus tôt. Heureusement que les arbitres n’étaient pas soumis aux contrôles antidopage lors de ce Mondial vécu sous cortisone : « J’aurais été positif à exploser. »
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Cette Coupe du monde au pays du dictateur Videla, entre les agents secrets planqués au Carlton où étaient logés tous les arbitres, et les visites guidées en bus façon Corée du Nord, Wurtz « en garde le souvenir d’un service militaire ». « Je suis content de l’avoir faite, dit-il, mais ça n’est pas le meilleur moment de ma carrière. Les plus beaux souvenirs, ce sont les matchs de tous les jours. Une ambiance à Nîmes ou à Bastia, ces choses que je raconte avec plus de joie que les consécrations officielles où tout doit être comme ci ou comme ça. Quand j’étais libre d’arbitrer à ma façon, j’étais heureux. »
« Sa façon » lui a valu l’inimitié de beaucoup de gens en costard, mais elle lui a attiré la sympathie non seulement des supporteurs mais encore des joueurs, qu’il admirait. Il arrivait parfois que monsieur Wurtz leur soufflât (il adore l’imparfait du subjonctif) de quel côté faire la bonne passe, les dissuadât de tenter un tacle dangereux, ou leur glissât un mot de réconfort s’ils venaient de tirer à côté. Inconcevable de nos jours. « Aujourd’hui, je ferais deux matchs à ma façon, je me ferais fusiller par la commission d’arbitrage. » Pour Robert Wurtz, être arbitre, c’était diriger le jeu, pas seulement siffler et sanctionner : « Sinon, autant être policier et faire la circulation. »

L’arbitrage de Robert Wurtz est celui d’une époque révolue. Une époque moins technocratique. Une époque où l’arbitre percevait 40 francs par match (« plus les frais de déplacement et de nourriture »). Une époque où, malgré d’inévitables « Aux chiottes l’arbitre ! » en tribunes, celui-ci n’était pas l’adversaire de tout le monde comme cela semble parfois être le cas désormais.
Wurtz n’est pas sûr qu’il pourrait arbitrer aujourd’hui, alors que les hommes en noir se font tomber dessus tous les week-ends pour un oui ou pour un non. « Nous avions plus le bénéfice du doute, grâce au manque d’images. Il n’y avait ni ralentis ni Internet. Et je sais bien qu’aujourd’hui, il y a un milliard en jeu à chaque but, mais faut pas exagérer non plus. Sur une saison, il y a 38 matchs, les erreurs d’arbitrage finissent par s’équilibrer. »

L’Alsacien a évidemment commis les siennes, et s’est parfois retrouvé dans l’œil du cyclone. Son pire souvenir reste la finale de la Coupe de France 1973 entre Lyon et Nantes, au cours de laquelle il accorda au Lyonnais Lacombe le but de la victoire (2-1), marqué après un contrôle de la main qu’il n’avait pas vu. Le Nantais Couécou aura cette phrase, à la fin de la rencontre : « C’est Ray Charles qui arbitrait ce soir. » L’épisode vaudra à Robert Wurtz six mois de dépression, dont il ressortira plus fort.
Chercheur en botanique au CNRS, chargé de relations publiques pour Eurest, chargé de mission pour la région Alsace, laborantin… Robert Wurtz a exercé huit métiers en parallèle de l’arbitrage, qui n’était à l’époque pas professionnel, mais aucun ne lui a apporté autant que le rectangle vert qui lui servait de scène. « “Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois”, a écrit Camus. Je signe tout de suite. La joie, la souffrance, la traitrise, l’injustice, se battre contre, voir comment l’autre réagit… J’ai plus appris sur l’homme grâce à l’arbitrage qu’à mes études scientifiques de troisième cycle, je vous le jure. »

Robert Wurtz a passé sa carrière à fouler les pelouses de France, d’Allemagne, du Mexique ou d’Argentine en crampons. Désormais, c’est pieds nus qu’il arpente le macadam de Climbach (Bas-Rhin) quand il va chercher son pain, ou les chemins forestiers alentour quand il part en promenade. Plus besoin de chaussures. Après tant d’années à « bourlinguer, tourner, foncer, demander sans cesse : “Où je vais ensuite ?” », le petit homme de 73 ans n’a plus la bougeotte.
« Le premier devoir du citoyen, c’est le calme », lui a-t-on dit un jour. Si c’est vrai, alors Robert Wurtz (bien prononcer « vurtz », et non « vourtz ») est un citoyen modèle, tant sa vie d’aujourd’hui illustre le concept de retraite paisible, entre nature, lecture, sudoku et amer-bière-citron sur la terrasse de sa maison aux côtés de sa femme et de sa fille. De quoi compenser l’agitation de sa vie d’avant, qui s’est achevée le 2 juillet 2007 par un AVC à l’issue du tournage de l’émission « Intervilles », où il avait été engagé pour jouer le même rôle que celui qu’il occupa pendant trois décennies sur les terrains de football : arbitre.


·         1941 Naissance le 16 décembre à Strasbourg (Bas-Rhin).
·         1969 Premier de ses 450 matchs de Division 1 (Sedan-Marseille).
·         1977 Finale de la Coupe des clubs champions européens, l’ancêtre de la Ligue des champions.
·         1978 Deux matchs de la Coupe du monde en Argentine.
·         1990 Dernier match officiel (Montceau-Dijon, en Division 2).
·         1998 Première apparition dans « Intervilles ».