Partageant la double
culture de l’Occident et de l’Orient, le philosophe strasbourgeois Reza
Moghaddassi interroge notre rapport à l’altérité et aux fractures qu’elle
génère. Avec une conviction dont le titre de son dernier livre se fait
l’écho : Les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel.
La question des différences culturelles
et de leur dépassement, il y a été confronté très tôt. Elle est même inscrite
dans ses gènes. Un père issu de l’aristocratie iranienne, une mère française
dont les parents étaient agriculteurs en Normandie, une prime enfance à Téhéran
avant de découvrir la France, « passant d’une civilisation traditionnelle
à la modernité, du persan au français », résume-t-il.
Deux mondes qui l’ont rendu sensible au
thème de l’altérité, desdifférences de valeurs et de vérités. « Ma vie et
mes engagements, observe-t-il, m’ont conduit à rencontrer aussi bien des
sociétés religieuses que des sociétés sécularisées, des couches sociales
modestes que les couches sociales les plus favorisées, des mondes ruraux que
des mondes citadins, avec leurs ombres et leurs lumières ». De quoi
aiguiser l’esprit d’analyse mais aussi porter son regard vers ce qui tend à
l’universel, rappelant au passage la racine latine d’univers -
universum ,
« ce qui est tourné vers un but commun ».
Un militantisme de la
cause philosophique
C’est à cinq ans, sa
famille fuyant l’Iran en guerre avec l’Irak, que Reza Moghaddassi découvre le
pays de Descartes. Le bac à Rouen, une prépa au lycée Henri-IV à Paris, un
master de philosophie à Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il décroche son Capes en
2003, année où il s’installe en Alsace, enseignant la philosophie dans
plusieurs établissements du Bas-Rhin avant d’obtenir son agrégation en 2012.
L’année
suivante, il entre au lycée Jean-Sturm (Strasbourg) où, indépendamment de son
poste de professeur, il lance Vertical, un cycle de conférences auquel
participent des penseurs de haut niveau - André Comte-Sponville, Olivier Rey,
Bertrand Vergely…
Véritable militant de
la cause philosophique,
Reza Moghaddassi est également à l’initiative du
projet Euthymia qui promeut le développement de l’intelligence
émotionnelle et de la gestion du stress chez les jeunes. On le retrouve
aussi en autoentrepreneur avec
Altitude , structure qui
propose des conférences philosophiques sur les questions d’éthique et
d’éducation.
Qu’il se saisisse aussi de l’outil du
livre pour partager le fruit de sa pensée n’étonnera pas. Après La soif
de l’essentiel , paru en 2016, on retrouve Reza Moghaddassi avec Les
murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel. Une réflexion
sur cette propension qu’a l’Humanité à provoquer des fractures
civilisationnelles, des crispations identitaires - « Des murs qui visibles
comme des parois de pierre ou invisibles comme des barrières mentales nous
emprisonnent dans nos convictions et nos croyances ».
Entre l’écueil du relativisme et celui du repli identitaire, il y a un
point d’équilibre à atteindre. En
analysant préalablement les lignes de
tension, tout ce qui produit mésentente et violence.
« On perçoit trois
sources de conflits essentielles : la vérité, l’identité et les valeurs »,
explique Reza Moghaddassi qui pointe aussi, dans nos sociétés modernes, un
repli de la liberté d’expression depuis une vingtaine d’années, alors qu’elle
avait globalement progressé au cours du XXe siècle.
Cet adepte des techniques de méditation,
qui rencontra à 14 ans le bouddhisme tibétain, met en avant la nécessité
d’inscrire l’empathie dans notre relation au monde, d’établir « un rapport
plus apaisé à nos propres certitudes ». La philosophie en serait-elle le
moyen privilégié ? « La raison ne peut pas tout, il y a aussi
l’intelligence du cœur », insiste-t-il.
Et puisqu’il s’agit de passer les murs,
Reza Moghaddassi évoque encore, de façon métaphorique, le ciel qui se déploie
au-dessus d’eux comme un espace à conquérir. « Une expérience vivante et
inspirante, dit-il. Le symbole d’une vérité qui dépasse les opinions individuelles,
une vérité qui n’est la propriété de personne et qui ne peut se laisser
enfermer dans un seul mot ou une seule représentation ».
Les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel, de Reza Moghaddassi, chez Marabout, 185 pages, 19,90 €.
Extraits des DNA du 26/01/21 par S. Hartmann
Retrouvez aussi l’intervention
de Reza Moghddassi à la Librairie Kléber, le 21 janvier 2021
https://www.youtube.com/watch?v=SzGKz9j90nI&feature=youtu.be