jeudi 13 juillet 2023

Féris Barkat (bac 2017), figure du climat dans les quartiers populaires, bouscule les normes (Le Monde)

 « La Relève » : tous les mois, « Le Monde Campus » rencontre un jeune qui bouscule les normes.
 A 21 ans, le jeune cofondateur de Banlieues Climat se bat pour sensibiliser les jeunes des banlieues aux questions environnementales et faire entendre leur voix jusqu’à Matignon.

Que lui a apporté le Gymnase dans son parcours ? Retrouvez aussi le témoignage de Barkat en:
https://gymnase-network.blogspot.com/2022/03/feris-barkat-bac-2020-le-capital.html

 Ces derniers jours, dans les quartiers populaires, les conversations tournent souvent autour de la mort du jeune Nahel M., tué le 27 juin par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine). Difficile de ne pas évoquer les émeutes en banlieues qui ont suivi un peu partout en France depuis. Pourtant, Féris Barkat préfère ne pas s’étendre sur le sujet à chaud et continuer de parler de son combat avec son association Banlieues Climat : l’écologie dans les quartiers populaires. « On veut montrer que l’écologie est aussi une porte de sortie à cette violence, un moyen de s’émanciper, dans un contexte social aussi compliqué », explique le jeune homme de 21 ans.

Samedi 1er juillet, il était aux Mureaux (Yvelines), où des incidents ont éclaté ces derniers jours, pour former une nouvelle promotion d’adolescents du coin aux questions environnementales. Une réussite selon lui : « La crise climatique n’est pas le sujet le plus réjouissant, mais ça leur fait du bien de parler d’autre chose que de l’actualité. »

 Malgré les événements, Féris Barkat garde donc le cap qu’il s’est fixé et qui l’a mené à connaître une ascension folle ces derniers mois. Depuis le lancement, fin 2022, de son association, qui aide les personnes venant, comme lui, de quartiers populaires à décrypter les enjeux de la crise climatique, le jeune homme enchaîne les rendez-vous prestigieux dans les plus hautes sphères de l’Etat.

Le 21 juin, lors de la restitution des Rencontres jeunesse de Matignon, il n’hésitait pas à réclamer plus d’argent pour les quartiers à la première ministre, Elisabeth Borne. La demande s’adressait aussi à Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur, avec qui Banlieues Climat a signé un partenariat le 7 juin. Le cofondateur de l’association peut même se targuer de participer à des réunions à l’Elysée avec des conseillers d’Emmanuel Macron, d’être en discussion pour donner des cours à l’école de management de Sciences Po sur la philosophie et l’écologie et d’entrer bientôt peut-être au conseil d’administration de l’association Fresque du climat, l’atelier de sensibilisation aux enjeux climatiques ayant formé plus de 1,1 million de personnes dans le monde.

 Féris Barkat se démène ainsi pour que les quartiers ne soient pas encore une fois les grands oubliés de la politique environnementale. « La question climatique est un outil pour remettre en cause les injustices dans les quartiers qu’on a normalisées : le fait qu’on ait moins d’espaces verts, des logements mal isolés, etc. Il faut renverser tout ça sinon c’est ici qu’on subira les conséquences plus qu’ailleurs », détaille-t-il au pied d’une tour grise de huit étages de Koenigshoffen, quartier populaire de Strasbourg.

 Découverte de l’art oratoire

C’est entre cette cité strasbourgeoise et Illkirch, banlieue de la ville alsacienne, que Féris Barkat a passé son enfance. Né d’un père d’origine algérienne et d’une mère d’origine marocaine, le jeune homme s’imaginait, petit, travailler à l’usine, comme son père. Sa mère, morte d’un cancer en mai, s’occupait, elle, de trouver des logements sociaux aux habitants d’Illkirch. Le futur militant a grandi avec l’histoire de son grand-père, tirailleur dans l’armée française pendant quarante ans et que son oncle, Kader Barkat, a essayé de faire décorer à titre posthume en écrivant une lettre à Brigitte Macron en 2018, sans succès. « Féris a grandi avec ce sentiment de devoir se battre pour ses droits », souligne ce dernier.

Au collège, l’adolescent connaît « des fréquentations douteuses » : « beaucoup d’embrouilles, quelques bagarres », élude-t-il aujourd’hui. Alors ses parents l’envoient au lycée privé du Gymnase Jean Sturm de Strasbourg, particulièrement réputé en Alsace. Il doit ce transfert en partie à cette professeure d’histoire de 3e qui lui a écrit une belle lettre de recommandation. « Elle a dit que j’étais quelqu’un de bien avant que je le devienne », la remercie Féris Barkat. Au lycée, il découvre l’art oratoire, à travers le film A voix haute. La force de la parole (2016) avec Bertrand Périer. Il dévore les vidéos d’éloquence de HEC et de Sciences Po. Après un bac ES mention très bien, le jeune d’Illkirch est accepté à la London School of Economics (LSE) pour la rentrée 2020. L’année coûte 9 800 livres (11 000 euros) et malgré une bourse, le père de Féris doit contracter un prêt pour compléter.

 Le début d’une aventure… rapidement avortée. Dans le milieu aisé londonien, Féris Barkat ne se sent pas à sa place. Il continue de s’intéresser aux questions écologiques, qu’il a découvertes en terminale, où il entend pour la première fois parler de changement climatique et où un professeur de philosophie le pousse à s’interroger sur la notion de progrès. Le jeune adulte dévore alors toutes les études et articles scientifiques sur le sujet.

Marco Berrebi, entrepreneur, cofondateurs du Collège citoyen de France, et Féris Barkat, dans la cour de l’INSP, à Strasbourg, le 2 juin 2023.

 Mais, autour de lui, il voit bien que le discours ne porte pas. « C’était socialement très compliqué, confie-t-il. J’étais entouré de gens aisés qui ne voulaient pas me calculer. Mes amis à Strasbourg ne captaient pas ce que je racontais non plus. J’étais seul dans mon délire. » Son écoanxiété et surtout l’état de santé de sa mère lui font relativiser l’importance des études. Alors le jeune expatrié claque la porte de la LSE sans le dire à ses parents, un an à peine après son arrivée, avant de rentrer à Strasbourg.

 Le retour au quartier n’est pas évident. Ses ambitions de projets restent sans réponse. La première main tendue viendra du Collège citoyen de France, un nouvel institut pour former « les responsables publics de demain », qu’il rejoint en février 2022. Là-bas, Féris y croise diverses personnalités comme l’artiste JR mais fait surtout la rencontre d’Abdelaali El Badaoui. « J’ai pris Féris sous mon aile parce que j’ai tout de suite senti le potentiel chez lui, rejoue le président et fondateur de Banlieues Santé, une association qui lutte pour réduire l’écart d’espérance de vie entre riches et pauvres en France. Il comprend très vite les codes, il sait écouter et prendre le temps. En plus, c’est un garçon hyper attachant, ce qui est important dans notre projet. »

 Les deux représentants des quartiers, accompagnés de Sanaa Saitouli, fondatrice du collectif citoyen Cergy demain, et du rappeur Sefyu, fondent Banlieues Climat à la fin de l’année 2022. L’association propose des formations autour des enjeux environnementaux d’environ neuf heures et d’accompagner des jeunes des quartiers de 16 à 25 ans vers les métiers de la transition écologique. Plusieurs dizaines d’entre eux ont déjà été formés à Strasbourg, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) et à Cergy (Val-d’Oise).

Selon Féris, il faut juste adapter son discours, voire en inventer un nouveau. « Le sort des ours polaires, ça ne parle pas en banlieue. Mais dès qu’on évoque les sécheresses au Maghreb, les périodes de canicule dans les logements HLM, la malnutrition, tout de suite les gens écoutent », affirme-t-il. « Ce sont toujours les mêmes qui en parlent. On ne voit que les bobos sur ces sujets », affirme Naël, 19 ans, en BTS management et membre de la première promotion formée par Banlieues Climat à Hautepierre, autre quartier populaire de Strasbourg, en décembre 2022. Alors Féris Barkat construit régulièrement ses formations autour de références trouvées dans des mangas comme One Piece ou l’univers d’Hayao Miyazaki. « Quand j’entends les écologistes dans les JT, ce n’est pas très pédagogique. Ce que fait Féris est beaucoup plus adapté pour les jeunes d’ici », loue Saad, 23 ans, un ami d’enfance du quartier en école d’infirmiers.

 Tchatche et sourire charmeur

C’est pour cela que le jeune Strasbourgeois essaie de ne pas trop se perdre dans le milieu des militants du climat, dont il appelle un bon nombre des têtes d’affiche comme Camille (Etienne), Léa (Falco) ou encore « Janco » (Jean-Marc Jancovici) par leur prénom, comme de vieilles connaissances. « Sinon tout devient une évidence. Et quand tu dois aller sur le terrain pour former vingt-cinq jeunes à Cergy, tu n’arrives plus à te mettre à leur place. Tu te retrouves à parler du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] comme si tout le monde connaissait, alors que pas du tout. » Dans les hautes sphères de l’Etat, il a appris à gérer la pression sociale, ce devoir d’assurer en tant que représentant des quartiers populaires et personnes racisées, tout en craignant toujours la récupération, la peur de n’être qu’ « une case à cocher » dans les conventions. « Je ne veux pas être la caution banlieue des Rencontres jeunesse », prévient-il.

Son ascension ultrarapide, ces derniers mois, lui pose aussi question. A seulement 21 ans, Féris Barkat reçoit une centaine de messages par jour sur son téléphone, a un agenda surchargé et des semaines « qui n’ont pas de sens », de son propre aveu. « On va à une vitesse qui même moi me fait peur, concède-t-il. Sur le long terme, je ne suis pas sûr que ça soit viable, sinon je suis mort dans deux ans. » D’autant que malgré ses récentes réussites, le militant continue de douter de sa légitimité et de sa crédibilité dans le milieu où il évolue. Et derrière une tchatche et un sourire charmeur, il reste un très jeune adulte : « Ces responsabilités sont lourdes à porter. Parfois, je pense à disparaître sans donner de nouvelles. »

Paradoxalement, son écoanxiété a diminué, tout comme ses espoirs de changer le monde et de sauver la planète. Il veut tout de même rester un minimum optimiste en voyant « ces jeunes sur le terrain qui ont une énergie de fou ». Pour penser à autre chose, Féris s’est aussi lancé dans la musique, dans le rap et dans le slam. Sans prétention, assure-t-il, juste pour ne pas perdre la tête. Pour un prochain projet, il a tout de même déniché le beatmaker des rappeurs SCH et PLK. Pour Féris, tout va décidément très vite.

 Robin Richardot

Le Monde - Publié le 08 juillet 2023

https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/07/08/feris-barkat-figure-du-climat-dans-les-quartiers-populaires-le-sort-des-ours-polaires-ca-ne-parle-pas-en-banlieue_6181130_4401467.html#xtor=AL-32280270-[mail]-[ios]