mercredi 18 novembre 2020

Marie-Paule Kieny (Gymnase, bac 1973): "Madame vaccin" pour la France et la Covid-19

 

Vaccinologue, directrice de recherche à l’Inserm, présidente du comité scientifique vaccin Covid-19 France, Marie-Paule Kieny a travaillé pendant plus de seize ans à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dont elle a été sous-directrice générale, chargée des systèmes de santé et de l’innovation.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, Marie-Paule Kieny étudie de près l’état de la recherche sur les vaccins et les stratégies vaccinales en cours d’élaboration. Pour Le Monde (14 novembre 2020), elle revient sur l’annonce faite par Pfizer d’un vaccin efficace à 90 %, et répond aux questions soulevées par l’arrivée prochaine d’un vaccin.

 Covid-19 : « On ne vaccinera sans doute pas la population française dans son ensemble »

 La vaccinologue Marie-Paule Kieny estime que les premiers vaccins pourraient être proposés en France début 2021. Selon elle, même si le virus ne pourra être éradiqué, la situation sanitaire devrait être meilleure d’ici quelques mois.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la vaccinologue Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l’Inserm, étudie de près l’état de la recherche sur les vaccins et les stratégies vaccinales en cours d’élaboration. Pour Le Monde, elle revient sur l’annonce faite par Pfizer d’un vaccin efficace à 90 %, et répond aux questions soulevées par l’arrivée prochaine d’un vaccin.

 Partagez-vous l’enthousiasme planétaire suscité par l’annonce de Pfizer, dont le vaccin serait efficace à 90 % ?

Bien sûr. Il faut saluer l’exploit : nous savons désormais qu’il est possible de développer un vaccin contre le Covid-19. On ne va pas bouder notre plaisir ! Cependant, cette protection de 90 % doit être précisée par des données scientifiques. Dans son communiqué de presse, Pfizer précise que la protection a été mesurée entre sept et quinze jours après la vaccination, soit quand l’immunité des patients est la plus forte. Or, celle-ci a tendance à diminuer avec le temps. Va-t-elle se maintenir à ce niveau pendant des mois, descendre progressivement, chuter brutalement ? On ne sait pas encore.

Nous attendons aussi des données sur l’efficacité de ce vaccin sur différents types de population, notamment sur les personnes âgées. Il faudra également déterminer s’il se contente de protéger des symptômes de la maladie, ou s’il en empêche aussi la transmission. Quoi qu’il en soit, c’est un chiffre très encourageant.

 Les conditions de conservation de ce vaccin, à – 72 °C, constituent-elles un frein important à sa distribution ?

Tout dépend de la durée pendant laquelle les doses devront être stockées avant d’être utilisées. Si Pfizer livre les millions de doses commandées en une seule fois, nous risquons en effet d’avoir un problème. Mais si le laboratoire est capable de livrer par exemple une fois par mois, dans différentes régions du pays, alors la solution sera plus gérable. Dans un cas comme dans l’autre, j’espère que les pouvoirs publics ont fait preuve d’anticipation en commandant des congélateurs spéciaux, car je ne suis pas sûre que ceux dont nous disposons dans nos laboratoires de recherche soient en nombre suffisant.

 Ce score de 90 % établit-il un précédent pour les vaccins à venir ?

Oui, il met la barre très haut. Mais encore une fois, ce taux d’efficacité devra être réévalué dans la durée, comme celui des autres vaccins d’ailleurs. Un candidat qui afficherait 60 % d’efficacité une semaine après la vaccination, et maintiendrait ce pourcentage six mois durant, pourrait s’avérer plus intéressant pour immuniser des populations qu’un vaccin très efficace pendant un temps très court. Les gens parlent souvent du vaccin. En réalité, nous allons vraisemblablement avoir des vaccins, aux caractéristiques différentes.

 Les vaccins les plus avancés ont tous ciblé la même protéine du virus, « Spike ». Que se passera-t-il si le virus mute ?

Ce virus, on commence à le connaître – la banque de données Gisaid recense 200 000 séquences, et il apparaît qu’il mute tout le temps. Pour le moment, aucune de ses mutations ne lui permet d’empêcher le travail des anticorps. Même la version mutée transmissible à l’homme observée dans les élevages de visons, au Danemark, ne semble pas présenter un risque pour la population. S’il mute de façon plus importante, peut-être faudra-t-il adapter le vaccin périodiquement, comme on le fait chaque année pour la grippe saisonnière.

 Donc le virus est là pour durer. Son éradication n’est-elle pas possible ?

Cela semble très improbable. On y était parvenu avec le SRAS car on était intervenu beaucoup plus tôt dans la progression du virus. Le SARS-CoV-2, responsable du Covid-19, est trop bien installé pour que l’on puisse l’éliminer grâce à l’induction d’une immunité collective par la vaccination. D’après une modélisation publiée dans la revue The Lancet, il faudrait pour cela vacciner presque 100 % de la population mondiale avec un vaccin qui serait efficace à près de 100 % pendant plusieurs années. On en est loin.

 Les Chinois ont bien réussi à faire disparaître la maladie de leur pays…

Oui, mais en mettant en place une politique de sécurité drastique. Vu la prégnance du virus hors de leurs frontières, cette solution n’est pas envisageable à long terme. C’est sûrement pour cela qu’ils ont commencé à administrer leurs vaccins, quand bien même ils n’ont pas encore démontré leur efficacité.

 Si le virus ne cesse pas de circuler, à quoi va ressembler notre vie quotidienne ? Devrons-nous continuer à porter des masques ?

Je pense et j’espère que la situation va se normaliser au cours du temps, mais il va falloir apprendre à vivre avec le virus, comme nous le faisons depuis des décennies avec la grippe. La situation sera vraisemblablement meilleure d’ici quelques mois. Nous aurons des vaccins, grâce auxquels nous pourrons protéger les personnes vulnérables. Les malades seront mieux traités grâce aux progrès réalisés par la recherche : les corticostéroïdes permettent d’ores et déjà de diminuer la mortalité des patients en situation critique, les anticorps monoclonaux à l’étude pourraient améliorer la prise en charge des malades. Et des chimistes sont en train de synthétiser des antiviraux qui pourraient avoir une activité directe sur le virus.

Développer un nouveau médicament spécialement pour le Covid prend du temps, mais cela va sans doute finir par arriver – on a bien trouvé des traitements spécifiques qui ont révolutionné le traitement des patients atteints par le VIH ou le virus de l’hépatite C. Enfin, nous avons redécouvert l’importance des gestes d’hygiène comme le lavage fréquent des mains, et cela change aussi la donne.

 Quand les premiers Français seront-ils vaccinés  ?

Très probablement au cours du premier trimestre 2021. Mais on ne vaccinera pas la population en trois ou six mois. On ne la vaccinera sans doute pas dans son ensemble d’ailleurs. Cela dépendra de l’appétence des Français, des quantités de doses disponibles et des résultats de chaque vaccin – l’Etat français, par le biais de la Commission européenne, en a commandé auprès de plusieurs fabricants, mais rien n’indique que tous aboutiront, ou seront également efficaces.

La vaccination, qui ne devrait pas être obligatoire, se fera sûrement en plusieurs étapes. Les soignants pourraient être prioritaires, car ils mettent leur vie en danger, et le principe de réciprocité fait qu’il serait éthiquement correct de leur proposer le vaccin dès que les produits seront homologués. Les personnes vulnérables, ou âgées de plus 65 ans, devraient aussi faire partie des cibles prioritaires. S’il reste des doses, elles pourront alors être proposées à tous ceux qui le souhaitent.

 Comment restaurer la confiance des Français dans les vaccins ?

En disant aux gens ce qui est. Il faut être transparent sur les effets secondaires éventuels, sur l’efficacité des vaccins après la vaccination, mais aussi dans les mois qui suivent, préciser quelle population ils protègent bien, quelle population ils protègent moins bien. Montrer que l’intention première des campagnes de vaccination n’est pas d’aider l’industrie à faire du profit, mais d’assurer la santé publique.

 L’interruption de trois essais cliniques après l’apparition de maladies inexpliquées chez certains patients n’est-elle pas inquiétante ?

Au contraire, c’est plutôt rassurant. Cela indique que malgré le caractère d’urgence dans lequel sont réalisés ces essais, les systèmes de contrôle fonctionnent aussi bien qu’à l’accoutumée. Car ces interruptions ne sont pas rares. Les effets secondaires graves arrivent de façon aléatoire dans tous les essais cliniques. A chaque fois, il convient de regarder si ces effets sont associés au vaccin. Si le lien n’est pas établi, les essais reprennent, avec une vigilance accrue sur l’émergence de nouveaux cas d’effets secondaires du même type, même légers.

 Le risque n’est-il pas plus grand, avec un vaccin à ARN messager comme celui de Pfizer, qui n’a jamais été approuvé pour l’homme ?

Il ne faut pas en avoir peur parce que c’est nouveau. C’est dans les périodes de crise que l’être humain est le plus créatif. Le vaccin contre Ebola était le fruit d’une nouvelle technologie lui aussi. Avant d’être testé pour ce virus, il dormait dans les tiroirs de scientifiques canadiens depuis dix ans, et n’en serait peut-être jamais sorti sans cette épidémie.

 Le Monde - Propos recueillis par Chloé Aeberhardt, Publié le 14 novembre 2020 à 10h05

Pour en savoir plus sur le brillant parcours de Marie-Paule Kieny:  https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Paule_Kieny#Carri%C3%A8re