Arrière-petite-fille de Frédéric Hoffet,
Noa Roquet se passionne « depuis toujours » pour le cinéma, avec une prédilection
pour le documentaire. Elle aime montrer comment l’humain réagit face à
l’adversité, l’émotion en prime.
Elle a entamé en septembre 2018 une
licence de cinéma à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Une suite logique
pour la jeune femme de 18 ans qui s’est toujours passionnée pour l’image. Elle
a passé un bac littéraire avec spécialité cinéma au lycée Jean-Sturm de
Strasbourg et « rêverait de réaliser des documentaires ».
Dans Kthimi , court-métrage documentaire
réalisé au Gymnase, elle suit une mère et sa fille, réfugiées kosovares, qui
retournent dans leur pays d’origine après huit ans d’absence. Elle a également
réalisé un court-métrage à l’Etablissement public de santé Alsace Nord (EPSAN)
de Brumath, qui a remporté un prix dans un festival spécialisé de Bruxelles.
« Le documentaire offre une façon
particulière de regarder le monde et d’aller vers les autres », explique Noa
Roquet qui aime montrer comment l’humain réagit face à l’adversité, l’émotion
en prime.
Noa Roquet dépoussière en vidéo la Psychanalyse de l’Alsace, alsatique
emblématique de son arrière-grand-père Frédéric Hoffet. Le regard que ces douze
personnalités posent sur l’Alsace d’aujourd’hui transcende le complexe de
l’enfant adoptif.
Chaque
réédition de la Psychanalyse de l’Alsace révèle l’avancée de la cure. Celle de
1973, parue dans la collection Alsatia Poche, s’ouvre sur un avant-propos de Germain
Muller et une gravure de Théophile Schuler, D’r Hans im Schnockeloch. L’édition
de 1994, chez Alsatia toujours, est enrichie d’inédits de l’auteur et complétée
par Jean-Louis Hoffet, le fils, qui fut pasteur, conseiller régional et
conseiller du président Adrien Zeller.
La
couverture de l’édition de 2008, aux Éditions Coprur, montre des cigognes
miniatures plantées dans des parts de Forêt-Noire. La préface est signée par
l’écrivain Martin Graff et la postface par Adrien Zeller.
Prolongation du livre en douze vidéos
Une
autruche remplace la cigogne dans la dernière réédition parue ces jours-ci avec des dessins
de Tomi Ungerer. Son trait souligne la dualité culturelle
d’Alsaciens pris dans un étau, la tête dans le sable ou englués dans une
coquille d’escargot. Une version espiègle de la gravure de Schuler, en somme.
Mais
l’illustration ne s’arrête pas là. Le livre se prolonge cette fois-ci par douze
vidéos très courtes dans lesquelles des personnalités alsaciennes expriment ce
qu’est l’Alsace pour elles aujourd’hui, 67 ans après la première publication du
texte de Hoffet. Elles sont réalisées par Noa Roquet, arrière-petite-fille de
Frédéric et petite-fille de Jean-Louis, étudiante en cinéma à la Sorbonne . Les
pixels détrônent l’édition brochée et jaunie de chez Flammarion.
Les
registres sont variés et les thématiques complémentaires, mais des invariants
traversent les témoignages comme la langue maternelle, l’Histoire,
l’incarnation de l’Europe, l’enracinement et l’ouverture.
Pour
visionner les vidéos, survolez la mosaïque et cliquez sur les boutons de chaque
portrait. Chacune des 12 vidéos fait 1mn30. La question : "Et aujourd'hui,
qu'est-ce que pour vous l'Alsace ?"
Pour Kinan Alzouhir, chanteur d’opéra, réfugié syrien en
Alsace depuis trois ans, Strasbourg partage des « choses
particulières » avec Damas. Cyrille Schott, ancien préfet
du Haut-Rhin, voit sa « petite patrie natale » comme
« la terre du miracle de la paix européen ». Odile Uhlrich-Mallet, adjointe au maire de Colmar,
décrit le comportement de l’enfant adoptif que Frédéric Hoffet développe dans
son ouvrage en rappelant « le balancement » endémique entre
« révolte » et « gage de patriotisme ».
Jean
Rottner, président du conseil régional Grand Est,
invite l’Alsace « à s’ouvrir », « à conquérir le monde » et
« à n’avoir aucune peur ». Brigitte Klinkert, présidente
du conseil départemental du Haut-Rhin, relève quant à elle que
« le bassin de vie de l’Alsace est le bassin rhénan ». Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg et ministre de
la Culture, évoque « la nécessité » pour l’Alsace
« de peser » face au Bade-Wurtemberg, au Luxembourg, à la Bavière et
à la Suisse.
« Une région formidable»
Opposant
au Grand Est, Pierre Kretz observe pour sa part « une
région qui se défend et prend conscience d’elle-même de manière différente et
décomplexée ». « Une région formidable parce qu’il y a un renouveau
démocratique et une vigilance citoyenne », estime l’écrivain et ancien avocat. Jean-Marie Woehrling, président du Centre culturel alsacien et
ancien président du tribunal administratif, souligne « la
vocation biculturelle, bilingue et transfrontalière » de l’Alsace en plein
débat sur son avenir institutionnel.
Arsène
Wenger, entraîneur d’Arsenal pendant 20 ans, parle de sa
« fierté » de se sentir européen qui lui a donné « envie de
fraternité et de voyages ». Mais aussi du « club de foot dans tous
les villages », « du Racing et de la Meinau », et « de
l’absence de l’Alsace à Noël » qu'il ressentait quand il vivait à
l’étranger.
Pour Frédérique Neau-Dufour, directrice du Centre européen du
résistant déporté basé au Struthof, l’Alsace est « le
point d’interrogation de la France » qui « renvoie le pays à tous ses
fantasmes sur le plan historique et à tous ses marqueurs identitaires ».
L’historienne cite la langue, la centralisation et la religion.
«On a une identité et on a envie de la partager »
C’est
une part plus intime que nous dévoile Clémence Zeller, architecte et
fille d’Adrien Zeller, en parlant de la transmission d’une culture à
ses enfants en dehors de la terre d’origine. « Il suffit de déménager pour
se rendre compte qu’on a une identité et qu’on a envie de la partager », remarque
l’Alsacienne de Paris.
« L’alsacien
est ma langue maternelle qui a ceci de singulier qu’il est extrêmement
accueillant, et qui fait que celui qui le parle devient lui aussi peu à peu
accueillant et n’aime pas trop les frontières », explique Michel Wackenheim, archiprêtre de la cathédrale de Strasbourg,
qui se sent « avant tout Européen ».
«Le sens inné de l’étranger»
Cette
dimension ressurgit quand on interroge Noa Roquet sur l’actualité du texte de
son arrière-grand-père. « L’Alsace est un peuple qui peut comprendre la
douleur de l’exil avec un regard du passé. C’est une richesse pour entendre
celles et ceux qui arrivent aujourd’hui chez nous », souligne la jeune
femme.
À la
fin du livre, son aïeul note que « l’horizon de l’Alsacien dépasse celui
des deux nations dont il est l’héritier. Il a une ouverture d’esprit qui lui
permet de pénétrer les civilisations les plus variées. Il a le sens inné de
l’étranger. » Frédéric Hoffet l’écrit, Noa Roquet le révèle.
DNA 21 octobre 2018