jeudi 25 mai 2023

10 ans plus tard !

 Sur une proposition de Line Weber, remarquable et intrépide (!!) organisatrice, plus de 80 bacheliers de 2013 sont venus célébrer des retrouvailles dans les locaux du Gymnase Jean Sturm, avec l'accompagnement de membres du Comité des Alumni.

Saurez-vous les reconnaître ? 

La densité des échanges a fait paraître la soirée très courte. Comme l’a noté Line : « passer du temps dans cette cafétéria ou rien n'a changé quasiment… Retrouver ses marques assez vite finalement, c'était une expérience très marrante 10 ans après ! ».


Quelques moments ont pu être mis à profit pour découvrir ou redécouvrir des locaux : « La visite de l’auditorium nous a marqué et ainsi que le fait de se retrouver sur les bancs de Sturm 10 ans après dans cette superbe bâtisse » . D’autres ont tenté quelques reconstitutions historiques de moments vécus devant un tableau blanc …

Une quarantaine de ces Alumni ont prolongé largement au-delà de minuit leurs retrouvailles dans un lieu de nuit bien connu à Strasbourg...

De denses moments vécus ensemble, des trajectoires très diverses, que reflète le témoignage observateur d’un professeur invité à ces retrouvailles :

«  J'ai été agréablement surpris par la manière dont les jeunes sont rapidement et facilement allés les uns vers les autres, alors que parfois, ils ne s'étaient plus vus depuis 10 années. Plusieurs jeunes m'ont eux-mêmes affirmé qu'ils avaient eu une certaine appréhension, mais que finalement ils étaient surpris de la simplicité des liens, comme s'ils s'étaient quittés la veille.

J'ai été aussi agréablement surpris par la diversité des parcours, des uns et des autres, et j'ai constaté que l'écrasante majorité sont heureux de leur métier actuel. »

What else ?

dimanche 7 mai 2023

Roland Carbiener, l'ancien du Gymnase devenu fondateur de la première fédération de protection de la nature en Alsace


 Professeur de botanique, naturaliste et amoureux du Rhin, Roland Carbiener a contribué à l’émergence du mouvement écologiste en Alsace, il y a un demi-siècle. Personnalité sensible, nostalgique des paradis perdus de son enfance, il a porté ses combats entre rigueur scientifique et militantisme.

 Roland Carbiener est venu à la nature par l’eau. Précisément par les méandres et les épis du Rhin où son papa l’emmenait pêcher à l’aube, à l’heure où le fleuve se pare parfois de « rouge comme de l’acier en fusion ». Le gamin est « émerveillé » par les ablettes et « les perchettes à la nageoire carminée ». Le soir, c’est « le drame » quand il faut tuer la pêche pour « la délicieuse friture » de sa maman. Debout dans la barque paternelle de sept mètres, il ne peut que se prendre pour « un Indien ».

Le naturaliste de 92 ans, corps fatigué esprit inépuisable, tire de ces paradis perdus une grande sensibilité et une nostalgie assumée qui ont sous-tendu tout son engagement écologiste pour l’Alsace. « Il a conservé la candeur d’un enfant devant la beauté de la nature tout en gardant sa rigueur scientifique », remarque Hubert Ott, député MoDem du Haut-Rhin et professeur de SVT, qui le considère comme « une énorme bibliothèque de savoirs qui donne accès à la compréhension sensible de la nature et de ce que nous sommes nous-mêmes ».

 « Souvent en surmenage, proche du burn-out »

À plusieurs reprises, l’entretien restera suspendu à des larmes et à des silences. L’homme, calé dans son fauteuil face à un bureau encombré de papiers et d’un bouquet de monnaie-du-pape séchée, n’est pas du genre à cacher ses émotions. Il ne le peut pas. Il est un hypersensible, une force comme une faiblesse qui peut conduire à « des tensions émotionnelles explosives », selon un naturaliste qui a bien connu la famille.

« Souvent en surmenage, proche du burn-out », Roland Carbiener confesse avoir été sauvé par « la pêche » et par sa « merveilleuse épouse », Sylvie, disparue en 2020, avec laquelle il a partagé la vie pendant 65 ans et a eu trois enfants. La cadette Carine est devenue podologue. Géographe et militant chez les Verts, l’aîné Philippe a été conseiller régional et adjoint au maire d’Illkirch-Graffenstaden jusqu’à son décès en 2009. Didier, ingénieur agronome, a publié en 1995 Les arbres qui cachent la forêt : La gestion forestière à l‘épreuve de l’écologie.

 La défense de milieux, dont la destruction est perçue comme une blessure, est humainement respectable. - Roland Carbiener

 « Révolté » par ce que les Trente Glorieuses font subir à la biodiversité

« Mes deux garçons ont été des combattants très déterminés. Ils ont vécu la même chose que moi », soupire le père qui se dépeint comme la « bête noire de l’ONF et de l’industrie chimique ». Un différend entre Philippe Carbiener et Alsace Nature, dont il était salarié pendant que son père en était président, marquera durablement les esprits. L’épisode poussera l’association à « dépersonnaliser les choses » et à procéder à des présidences tournantes.

 Né le 4 août 1930 à Strasbourg, Roland Carbiener a lui aussi suivi les pas de son père, pharmacien à Fegersheim et fin botaniste, et de sa mère, professeure à l’école des arts ménagers qui aurait préféré faire les Beaux-Arts si son propre père ne l’en avait pas empêché. « Elle faisait des aquarelles magnifiques », raconte le fils qui a hérité de ses parents l’art de la contemplation, le goût pour le beau et l’esprit cartésien.

 

 Élève brillant, il passe son bac au gymnase protestant Jean Sturm puis entre à la faculté de pharmacie de Strasbourg où il peut assouvir sa passion pour la chimie minérale et organique. Il excelle en physique et en botanique. Lors des excursions sur le terrain, il est toujours aux avant-postes, en train de tout noter. « Gros bosseur et « meilleur du classement », il est repéré par son professeur de botanique Paul Jaeger, « un Alsacien pur jus devenu africaniste » qui lui propose de devenir son assistant.

 Pour gravir les échelons au sein de l’Université, Roland Carbiener va cumuler les disciplines et les diplômes jusqu’à obtenir son doctorat à Paris Orsay, en 1966, sous la double direction des professeurs Paul Jaeger et Georges Lemée. Consacrée à « la végétation des Hautes Vosges dans ses rapports avec les climats locaux, les sols et la géomorphologie », sa thèse fait référence. « Pour comprendre la vie des plantes, il faut connaître le sol et l’environnement », remarque l’intéressé dont « les digressions » sont appréciées par ses élèves.

 D’assistant à chef de travaux, de maître de conférences à professeur, l’enseignant en botanique va s’ouvrir à l’écologie végétale et à l’écologie des pollutions. Il crée un cours novateur d’écotoxicologie qui lui permet de faire le lien avec son militantisme, d’asseoir sa réputation et d’être recruté comme expert auprès du gouvernement pour les grandes pollutions.

 « Il a beaucoup apporté à la protection de la nature à travers une démarche scientifique rigoureuse mais aussi engagée », relève Maurice Wintz, président d’Alsace Nature de 2009 à 2015. Hubert Ott voit Roland Carbiener comme « un pionnier de la défense de l’environnement qui ne peut s’ancrer que si elle est portée et reprise par des personnes qui savent de quoi elles parlent ». Pour le député de Rouffach, il est « la synthèse même de l’écologie » qu’il définit comme « le rapport du vivant à son environnement ».

 Le professeur Carbiener est « révolté » par ce que les Trente Glorieuses font subir à la biodiversité. « Les milieux que j’ai appris à aimer étaient détruits les uns après les autres. Il fallait faire quelque chose. » En 1956, un « Comité de protection de la nature » voit le jour au sein de l’association philomathique d’Alsace et de Lorraine autour du Dr Henri Ulrich, des professeurs Paul Jaeger et Henri Jean Maresquelle, et du pasteur Gonthier Ochsenbein.

 « Les rives étaient jonchées de cadavres de brochets »

 À l’époque, Roland Carbiener est « un scientifique en rupture avec le modèle social dominant », observe Maurice Wintz. Il est un peu plus contestataire qu’un certain nombre de ses collègues universitaires. Face aux « problèmes croissants », le comité se transforme en 1965 en Association fédérative régionale pour la protection de la nature (AFRPN) qui deviendra Alsace Nature en 1991. Le botaniste assurera la présidence de l’AFRPN puis d’Alsace Nature de 1976 à 1996. « C’est un grand bonhomme de l’histoire de la structuration de l’écologie politique associative en Alsace », note le sénateur Jacques Fernique (EELV).

 Ses fonctions l’amènent à mener de « très rudes batailles » au cours desquelles il dit s’être « fait craindre et apprécié ». Il cite trois victoires : l’abandon des projets d’extension du port autonome de Strasbourg dans la forêt d’Offendorf (1976), d’implantation d’une usine de stéarate de plomb à Marckolsheim (1975) et de canalisation de l’Ill. L’Alsace découvre les manifestations écologistes. Le 9 octobre 1976, 2 000 personnes défilent à Strasbourg pour la protection des forêts rhénanes. Rue de la Mésange, un slogan jaillit : « La tronçonneuse ne passera pas ».

 L’écologie doit aussi être au service des humbles, avec un fonds social. - Roland Carbiener

 « La forêt du Rhin est une cathédrale à ménager »

 Les années 1970 seront marquées par la contestation. Au micro, devant des milliers de personnes, Roland Carbiener développe des arguments scientifiques et prêche pour élever la bande rhénane, « un milieu à haute valeur végétale et florale », au rang de patrimoine. « La forêt du Rhin est une cathédrale qu’il faut ménager », dit-il toujours. À côté de la préservation de l’existant émerge la question de la contamination des milieux et de l’eau qui devient un problème de santé publique.

 Le naturaliste évoque spontanément la contamination du Rhin au mercure du début des années 1970 qui s’est traduite par une surmortalité des brochets au printemps, entre Marckolsheim et Plobsheim. « Les rives étaient jonchées de cadavres et les œufs des oiseaux piscicoles mouraient », se souvient le scientifique. « Une première expertise a attribué la mortalité des brochets au méthylmercure. Si les Alsaciens avaient mangé autant de poisson qu’au Japon, nous aurions eu la maladie de Minamata », estime-t-il.

 Dans ces années de lutte, l’AFRPN est traversée par deux courants. Roland Carbiener partage avec Antoine Waechter et Michel Fernex une ligne intransigeante et déterminée face à une tendance plus modérée représentée par Ernest Heil et Henri Ulrich. L’assemblée générale extraordinaire de l’AFRPN du 1972 voit ses deux méthodes s’affronter, ce qui donnera lieu à une rénovation de l’association.

Le naturaliste en convient : si les « arguments techniques sont importants, il faut aussi tenir compte de la sensibilité du public ». « La défense de milieux considérés pour leur beauté, et dont la destruction est perçue comme une blessure, est humainement respectable. On n’a pas le droit de mépriser la préservation », argumente le vieil homme, qui ne compte pas « les bouleversements » qu’il a vécus depuis qu’il est « sur terre ».

« Protestant pratiquant », qui a un jour rendu hommage à Spinoza au cours d’une de ses innombrables conférences, Roland Carbiener n’en reste pas moins « un biologiste très influencé par le darwinisme ». Ses recherches scientifiques sur l’évolution du vivant lui ont confirmé que « les systèmes naturels fonctionnent sur la base de la coopération et d’interactions positives, et sur le principe de l’harmonie ».

 
Fort de constat, rien ne l’agace plus que de voir « le darwinisme caricaturé ». Quand il entend le mot compétitivité, il « voit rouge ». « La thèse du’ ’Struggle for life’’ ou du darwinisme social est utilisée à des fins économiques », dénonce l’ancien professeur pour qui « l’écologie doit aussi être au service des humbles, avec un fonds social ». « Il faut vivre une vie humaine et digne », reprend-il en pointant « le grave problème de la surpopulation mondiale ».

 Quand Roland Carbiener pense à l’avenir, il aime se replonger dans la vie de « paysan » du Kochersberg qu’il a menée à 14 ans, dans une ferme de Reitwiller où la famille a passé l’année 1944 après avoir perdu son appartement dans un bombardement. Il y découvre un modèle autosuffisant centré sur la polyculture, qu’il juge idéal et durable, et dont il s’inspirera pour « un de ses premiers cours »

 « On a sélectionné un type de paysannat non tenable à terme. Il faudrait revenir à un système fermé ; on y arrivera une fois qu’on aura trop faim », avance-t-il, heureux que « la prise de conscience avance grâce une minorité active ».  

 Roland Carbiener s’évade peu de sa maison alsacienne de Daubensand dont il essaie de « soigner les abords » faits d’arbustes et de parterres de fleurs. À quelques centaines de mètres de là s’écoule le grand fleuve de sa vie qui charrie des alluvions de souvenirs. « Nager dans le Rhin était d’une magnifique sensualité ; son état gazeux produit par les vortex en faisait un jacuzzi naturel. » Il a arrêté de s’y baigner en 1960, à son retour de service militaire. La fin des illusions.

 Article de Franck Buchy paru dans les DNA du 10 avril 2023

 A lire : Rhin vivant (La Nuée Bleue), par Roland Carbiener et Laurent Schmitt.