Partageant la double culture de l’Occident et de l’Orient, le philosophe strasbourgeois Reza Moghaddassi interroge notre rapport à l’altérité et aux fractures qu’elle génère. Avec une conviction dont le titre de son dernier livre se fait l’écho : Les murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel.
La question des différences culturelles
et de leur dépassement, il y a été confronté très tôt. Elle est même inscrite
dans ses gènes. Un père issu de l’aristocratie iranienne, une mère française
dont les parents étaient agriculteurs en Normandie, une prime enfance à Téhéran
avant de découvrir la France, « passant d’une civilisation traditionnelle
à la modernité, du persan au français », résume-t-il.
Deux mondes qui l’ont rendu sensible au thème de l’altérité, desdifférences de valeurs et de vérités. « Ma vie et mes engagements, observe-t-il, m’ont conduit à rencontrer aussi bien des sociétés religieuses que des sociétés sécularisées, des couches sociales modestes que les couches sociales les plus favorisées, des mondes ruraux que des mondes citadins, avec leurs ombres et leurs lumières ». De quoi aiguiser l’esprit d’analyse mais aussi porter son regard vers ce qui tend à l’universel, rappelant au passage la racine latine d’univers - universum , « ce qui est tourné vers un but commun ».
Un militantisme de la cause philosophique
L’année suivante, il entre au lycée Jean-Sturm (Strasbourg) où, indépendamment de son poste de professeur, il lance Vertical, un cycle de conférences auquel participent des penseurs de haut niveau - André Comte-Sponville, Olivier Rey, Bertrand Vergely…
Véritable militant de la cause philosophique, Reza Moghaddassi est également à l’initiative du projet Euthymia qui promeut le développement de l’intelligence émotionnelle et de la gestion du stress chez les jeunes. On le retrouve aussi en autoentrepreneur avec Altitude , structure qui propose des conférences philosophiques sur les questions d’éthique et d’éducation.
Qu’il se saisisse aussi de l’outil du
livre pour partager le fruit de sa pensée n’étonnera pas. Après La soif
de l’essentiel , paru en 2016, on retrouve Reza Moghaddassi avec Les
murs qui séparent les hommes ne montent pas jusqu’au ciel. Une réflexion
sur cette propension qu’a l’Humanité à provoquer des fractures
civilisationnelles, des crispations identitaires - « Des murs qui visibles
comme des parois de pierre ou invisibles comme des barrières mentales nous
emprisonnent dans nos convictions et nos croyances ».
Entre l’écueil du relativisme et celui du repli identitaire, il y a un point d’équilibre à atteindre. En
analysant préalablement les lignes de tension, tout ce qui produit mésentente et violence. « On perçoit trois sources de conflits essentielles : la vérité, l’identité et les valeurs », explique Reza Moghaddassi qui pointe aussi, dans nos sociétés modernes, un repli de la liberté d’expression depuis une vingtaine d’années, alors qu’elle avait globalement progressé au cours du XXe siècle.Cet adepte des techniques de méditation,
qui rencontra à 14 ans le bouddhisme tibétain, met en avant la nécessité
d’inscrire l’empathie dans notre relation au monde, d’établir « un rapport
plus apaisé à nos propres certitudes ». La philosophie en serait-elle le
moyen privilégié ? « La raison ne peut pas tout, il y a aussi
l’intelligence du cœur », insiste-t-il.
Et puisqu’il s’agit de passer les murs,
Reza Moghaddassi évoque encore, de façon métaphorique, le ciel qui se déploie
au-dessus d’eux comme un espace à conquérir. « Une expérience vivante et
inspirante, dit-il. Le symbole d’une vérité qui dépasse les opinions individuelles,
une vérité qui n’est la propriété de personne et qui ne peut se laisser
enfermer dans un seul mot ou une seule représentation ».
Extraits des DNA du 26/01/21 par S. Hartmann