Les religions ont
connu trois étapes. D’abord, les polythéismes, suite logique du chamanisme, qui
ont culminé sous les Romains et les Grecs. Ensuite, le monothéisme des
religions du Livre.
Aujourd’hui émerge un troisième âge: l’homme-dieu. Pour les transhumanistes, la
boutade de Serge Gainsbourg – «Les hommes ont créé Dieu, le
contraire reste à prouver» – est une évidence. Dieu n’existe pas
encore: il sera l’homme de demain, doté de pouvoirs quasi-infinis grâce aux
nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives (NBIC).
L’homme va réaliser ce
que seuls les dieux étaient supposés pouvoir faire: créer la vie, modifier
notre génome, reprogrammer notre cerveau et euthanasier la mort. Ray Kurzweil,
ingénieur en chef de Google, a déclaré en octobre: «Dès les
années 2030, nous allons, grâce à l’hybridation de nos cerveaux avec des
nano-composants électroniques, disposer d’un pouvoir démiurgique (Godlike).»
Cette vision de l’homme du futur, tout-puissant et immortel, rappelle les
scénarios hollywoodiens du type Transcendance (Wally Pfister, 2014) et fait
sourire. Elle traduit toutefois un mouvement de fond. Pour la première fois, un
mouvement philosophique prétend arracher l’homme à sa condition d’objet
ballotté par la nature et la transcendance pour lui donner un rôle moteur dans
l’évolution.
Modifier le destin de
l’Univers
Certains transhumanistes, comme le
philosophe Clément Vidal, envisagent même de se servir de nos futurs pouvoirs
pour modifier le destin de l’Univers tout entier. Pour les transhumanistes, il
serait rationnel, et non d’une vanité ultime, de rendre l’Univers immortel pour
assurer notre propre immortalité. En réalité, le transhumanisme traduit, comme
pour les religions polythéistes et monothéistes, les interrelations entre nos
capacités et nos croyances. Une religion prométhéenne exaltant la
toute-puissance de l’homme face aux éléments était inconcevable avant le
triomphe des NBIC.
Les religions actuelles veulent bien
nous aider à supporter notre mort – dans la foi –, mais en aucun cas nous aider
à la supprimer!
Pour la plupart des transhumanistes,
les NBIC vont décrédibiliser Dieu et le remplacer par l’homme-cyborg. La
religion de la technologie est-elle en train de remplacer la religion
traditionnelle? Y aura-t-il de violentes oppositions, voire des guerres de
religions entre transhumanistes et techno-conservateurs, ou une transition
douce? En fait, de premiers ponts apparaissent entre transhumanisme et
religion: le dalaï-lama se passionne pour la neuro-théologie et le contrôle
cérébral des sentiments religieux. Le bouddhisme sera-t-il la religion
intermédiaire avant l’ère transhumaniste?
Ce troisième âge religieux est lourd de
menaces. Dans sa passionnante conférence de 1972, à l’université de Louvain,
Jacques Lacan expliquait pourquoi la mort nous aide à vivre et pourquoi la vie
serait terrifiante si elle était sans fin. Quand tout est possible, l’être humain
devient fou. La psychanalyse nous a appris à quel point l’absence de
contraintes est source de désarroi. L’idéologie transhumaniste, qui magnifie
nos fantasmes de toute-puissance, est porteuse de bien des pathologies
psychiatriques. Le transhumain vivra dans l’illusion de sa toute-puissance, qui
est mortifère pour notre psychisme. Une chose est sûre, les psychiatres ne
vont pas chômer !
Laurent Alexandre (chirurgien urologue,
président de DNAVision)
http://www.humanite-biodiversite.fr/article/le-transhumanisme-une-religion-3-0