Originaire des quartiers
strasbourgeois, Féris Barkat, militant pour le climat, est devenu en quelques
mois une figure médiatique des enjeux climatiques en banlieue. Entre l’Alsace
et Paris, il enchaîne réunions, plateaux TV, et travail pour Banlieues Climat,
l’association qu’il a cofondée.
Difficile de suivre le rythme de
Féris Barkat, une pile électrique chargée à bloc… et pressé par le changement
climatique. S’il court après le temps à seulement 22 ans, c’est qu’il a pris
conscience de l’urgence climatique et que le sujet le ronge de façon
intime : « J’ai eu le déclic en 2022, quand ma mère a été
diagnostiquée d’une tumeur cérébrale. » Le jeune Strasbourgeois stoppe ses
études à la prestigieuse London School of Economics pour s’occuper d’elle.
« Je prends conscience de l’exposition à la pollution dans les quartiers
car elle vivait à l’Elsau [un quartier de Strasbourg longé par l’autoroute,
N.D.L.R.]. Les corrélations ne sont pas démontrables, mais l’exposition
aux particules fines, aux problèmes d’alimentation, ça joue. » Bâtiments
vieillissants et parfois mal isolés, pollution issue des grandes routes
périphériques, précarité alimentaire : les quartiers de Strasbourg et
d’ailleurs sont souvent les oubliés de la politique environnementale de la
Ville. « C’est souvent les habitants de banlieues et des quartiers
populaires qui sont en première ligne des problèmes environnementaux »,
observe Corentin Souci, un proche de Féris.
Soutien
parisien et européen
La population qui y vit est
mal informée, remarque aussi Aymen Hamidi, habitant de Hautepierre et formateur
à Banlieues Climat : « Le fait de ne pas savoir, c’est problématique.
À Hautepierre, quand je parle écologie, on me répond ramassage des
déchets, etc. Mais j’explique aux gens que c’est bien plus que cela, c’est
un enjeu global, qui concerne les industries, les émissions de gaz à effet de
serre, l’utilisation des ressources naturelles, et bien plus encore. »
Un constat qui se concrétise par la
création de Banlieues Climat, fondée par Féris avec notamment le rappeur
parisien Sefyu en 2022. Très vite, le jeune Alsacien attire l’attention sur les
réseaux sociaux. Blagueur, charmeur, intellectuellement brillant… il devient
rapidement la coqueluche des médias, le représentant idéal du sujet climatique
dans les banlieues, capable de mobiliser des contingents d’amis et d’acteurs
institutionnels. Le projet est rapidement soutenu par la Ville de Paris, la
Fondation de France et l’European Climate Foundation. Aujourd’hui, il
consacre 100 % de son temps à Banlieues Climat dont il est salarié,
partageant sa vie entre Paris et Strasbourg.
L’association met sur pied des
formations de « sept à huit heures », sensibilisant des centaines de
jeunes en France dans « une vingtaine de villes ». Le jeune
homme a convaincu la maire de Strasbourg,
Jeanne
Barseghian, d’en faire autant. « Strasbourg était la ville
où on a formé le plus de monde, toujours gratuitement, mais sans
subvention », grince-t-il. Depuis, la municipalité a ouvert le
portefeuille pour une collaboration.
Tir
au but avec Hollande
À Strasbourg, Banlieues Climat
compte une dizaine de référents-formateurs, une quinzaine à Paris. À Mulhouse,
le projet trouve également de l’écho. « Notre force c’est l’expertise
scientifique : on s’est formé au ministère de la Transition écologique.
[…] Le projet maintenant c’est d’ouvrir une école de formation diplômante, de
niveau bac +2 à +3. On va récupérer les locaux d’une école à Saint-Ouen pour
expérimenter. » Elle doit être inaugurée le 12 octobre.
Pour faire connaître son action, il
multiplie les coups de force médiatiques. L’automne dernier, il
convainc
François Hollande de
venir à Koenigshoffen, où il a grandi, pour décrocher une subvention de la
fondation « La France s’engage », dont s’occupe l’ancien
président.
L’ancien chef
de l’État viendra shooter dans un ballon sur le terrain de foot du quartier ,
offrant une image parfaite aux médias qui immortalisent la scène. Le
journal
Les Échos lui décerne le titre de leader positif de
l’année. « Là, je gère des journalistes qui harcèlent tout le monde pour
me parler ! », s’amuse-t-il à l’arrière de la Twingo qui le conduit à
travers Strasbourg pour son prochain rendez-vous. On ne compte plus les
articles et reportages à son sujet. « Je suis très fatigué par tout
cet emballement. Je dis souvent en rigolant que, dans deux ans, je prends ma
retraite ! »
Pressé entre les détails d’un
voyage à organiser et une réunion pour trouver des locaux, il détaille sa
vision à vitesse grand V : « Mon but n’est pas de sauver le
monde. C’est de permettre de rêver et de créer de l’espoir dans les banlieues
et les quartiers populaires. » L’écologie devient pour l’association un
levier vers « l’émancipation » des habitants :
« L‘émancipation, c’est quand Aymen forme des députés à l’Assemblée
nationale sur les questions écologiques. C’est montrer que nous aussi on
maîtrise ces sujets. » Une revanche personnelle : « J’ai une
histoire très forte avec mon grand-père qui s’est battu pour la France pendant
la Seconde Guerre mondiale, dans le 3e régiment de
tirailleurs algériens. J’ai le sentiment qu’il y a quelque chose qui nous est
dû et qu’on a un manque de reconnaissance. C’est pour ça que j’ai conscientisé
les inégalités très tôt. »
À Hautepierre, quand je parle
écologie, on me répond ramassage des déchets, etc. Mais j’explique aux
gens que c’est bien plus que cela, c’est un enjeu global…
Lui-même se voit comme un
rescapé : « A l’école, j’avais de bonnes notes, mais ce qui
m’intéressait c’était de sortir avec mes potes. C’est une
prof au collège qui m’a sorti de fréquentations problématiques et m’a permis
d’intégrer “Sturm”. J’avais un prof de philo au lycée, Reza Moghaddassi, qui
m’a passionné. J’ai développé une conscience sociale, j’organisais des
rencontres avec des députés et des ouvriers. »
Un goût pour le débat assorti d’un
charisme naturel : il serre les paluches, sourit, a un petit mot pour
chacun. On a presque l’impression de suivre la campagne électorale d’un futur
candidat… même s’il se défend de nourrir une telle ambition. « La
politique ? Ça ne m’intéresse pas du tout », jure-t-il, se défiant de
tout engagement partisan.
Pourtant, lors des législatives de
juin, le jeune homme prend la parole publiquement. S’il remarque que dans les
quartiers, « les gens n’en ont rien à foutre de voter », comme il le
dit à Libération , le jeune homme déplore les tentatives de
récupération du vote des banlieues. « La gauche appelle la banlieue à la
rescousse [face au RN, N.D.L.R.] mais nous demander de sauver une société dont
on a été exclu, ce n’est pas possible », tance-t-il sur le plateau
de C ce Soir sur France 5.
Ce qui ne l’empêche pas, fin juin,
de faire projeter une fresque géante de l’artiste Artemile sur la façade de
l’Assemblée nationale, qui représente les luttes des générations d’immigrés
pour leurs droits. « La lutte ne s’essoufflera jamais », lance-t-il à
« l’extrême droite aux portes du pouvoir ».
Depuis les législatives, le jeune
homme assume désormais une forme d’engagement public : avec 200 000
personnes qui le suivent sur TikTok et X, « je n’ai plus trop le
choix ! ».
Il
s’infiltre au Palais de Tokyo
Son autre cheval de bataille, celui
de diffuser l’art dans les milieux plus éloignés. Fin janvier, il
investit des locaux du
quartier de l’Elsau pour organiser une exposition sauvage d’art pour
« faire venir le musée là où il n’est pas ».
Il remet le couvert quelques mois
plus tard et organise un happening au Palais de Tokyo à Paris. « Avec la
complicité du directeur, on est entrés en pleine nuit pour y déposer une toile
de l’artiste Artemile : “Pour la culture, pour le futur”. Ce qui était un
symbole très fort. » L’infiltration fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Et séduit en haut lieu : « Le Palais de Tokyo m’a proposé d’intégrer
le conseil d’administration de son fonds de dotation. Ça va me permettre de
flécher les futurs investissements, voir comment on peut soutenir de nouvelles
expos et des projets hors les murs. […] Il y a une autocensure dans les
banlieues, les gens se disent : les musées, c’est pas pour nous. Mais si
le beau est accaparé par une classe sociale, les autres sont privées d’une
esthétique. » Faire bouger les lignes, vite et dans l’urgence, le mode
d’action d’une jeunesse qui ne veut plus regarder ailleurs.
Quelques dates
- 2002 : naissance à Strasbourg
- Décembre 2022 : création de l’association Banlieues Climat
- Octobre 2024 : ouverture d’une école à Saint-Ouen
Extrait des DNA du 29 septembre
2024 par Florent Potier
Pour en savoir plus:
https://bonpote.com/feris-barkat-on-parle-a-ceux-qui-ne-se-retrouvent-pas-dans-le-discours-embourgeoise-de-lecologie/
Et au Gymnase...
Laure Birckel, Florence Malhamé et
Hélène Vonesch, professeurs du Gymnase engagées dans le projet « Vert l’Europe »
ont invité Féris Barkat et son équipe à animer un atelier sur le théme.
Voici son retour :
-
On a fini la journée de l'atelier rincées mais bien contentes que BANLIEUES CLIMAT ait décentré, parfois bousculé un peu nos
élèves, et leur ait surtout transmis une énergie incroyable. - Nous aussi (en tout cas moi) avons été un peu "bousculées" par nos
trois formateurs : j'ai pris un (petit) coup de vieux, mais voir d'autres
démarches et d'autres postures, ça fait du bien !
- Banlieues Climat nous associe au montage d'un concours d'éloquence Banlieues
Climat x Vert l'Europe : on a hâte ! Et même si c'est encore du travail, ça
vaut le coup.
- Les élèves ont de réelles attentes par rapport à la justice climatique et
surtout veulent créer des solutions
- mais surtout c'est toujours émerveillant de laisser les initiatives émerger
et de voir à quel point les élèves (et en fait tout le monde) ont des idées
originales, stimulantes et tellement d'envies ! Il faut faire confiance et
offrir des espaces d'engagement.
De prochaines étapes sont prévues :
- la venue de
Lucie Pélissier pour une série d'ateliers consacrés à la
médiatisation du projet et à la construction d'un documentaire.
- une conférence au
Lieu D'Europe intitulée "Comment par du climat ?"
- la finalisation du voyage, pour lequel nous avons de supers coups de pouce.