samedi 3 juillet 2021

Anne Coste (Lucie Berger 2002), regards croisés d'Afrique du Sud et du Gabon

 
Anne Coste (promotion 2002, Lucie Berger) a accepté de partager son expérience, rare, de parcours professionnel en Afrique. Les Alumni la remercient de sa contribution à ouvrir notre regard, sous forme d'une interview. 

Après un cursus à Sciences Po Strasbourg puis à Sciences Po Bordeaux, Anne a commencé sa carrière en stage à Paris au sein de Renault. C’est ainsi qu’elle obtient un VIE – Volontariat International en Entreprise au sein de Renault Afrique du Sud. Alliant un savoir-faire de grande qualité avec un savoir-être qui lui permet de s’intégrer remarquablement dans un univers très différent, elle obtient des résultats qui lui valent le « Grand Prix Afrique des VIE/VIA ». Un rapport et un regard lucide et ouvert  sur le monde de l’entreprise et l’Afrique du Sud à retrouver en ligne sur :

https://www.calameo.com/read/003379793cf499d8ac983

Elle travaille ensuite pour le groupe Bolloré couvrant depuis l’Afrique du Sud le contrôle financier des pays limitrophes : Botsana, Namibie et Zimbabwe. Puis elle rejoint les équipes de Leroy Merlin venues conquérir le

marché sudafricain du bricolage et participe au lancement de leurs magasins dans le pays.

Après 10 ans passés en Afrique du Sud, elle part en 2019 commencer une nouvelle aventure, toujours sur le continent africain, au Gabon. Elle est en poste à la SETRAG, entreprise concessionnaire du chemin de fer gabonais et filiale du groupe français Eramet.

  •   Vous vivez depuis de nombreuses années en Afrique, continent souvent "oublié" des Européens. Comment percevez-vous l'évolution des pays que vous avez connus leurs atouts, leurs difficultés?

Bien que deux pays sur le même continent, le Gabon et l’Afrique du Sud ont deux profils différents.

L’Afrique du Sud, malgré une croissance faible, est une des économies les plus « avancées » d’Afrique. Elle fait d’ailleurs partie des BRICS[1]. L’Afrique du Sud reste un des pays les plus inégalitaire au monde et son plus gros défit reste à sortir de la pauvreté une grande partie de sa population. L’exercice est d’autant plus difficile que l’apartheid politique a laissé en place un apartheid économique où la grande majorité des ressources et des pouvoirs économiques du pays sont entre les mains d’une minorité « blanche ». L’éducation, vecteur de promotion sociale dans d’autres pays, souffre, elle aussi, d’un héritage compliqué – le système de l’apartheid ayant instauré une éducation à 2 vitesses avec un focus sur des formations pratiques (menuisier…) pour les populations « non blanches ».

Le profil du Gabon est différent. C’est une ancienne colonie française qui a obtenu son indépendance en 1960. Il reste toutefois des liens très forts avec la France tant au niveau économique que culturel. Le Gabon a bénéficié de la manne pétrolière jusqu’à récemment, où la chute des cours du baril de pétrole est venue changer la donne. Aujourd’hui, l’économie repose sur l’exportation du
minerai de manganèse et l’exploitation du bois de la forêt équatoriale. Le pays a mis en place des politiques encourageant la création de valeur ajoutée sur le territoire avec l’installation d’usines de transformation du bois.

  •        Les Européens peuvent-ils y avoir leur place ? Comment sont-ils perçus dans ce monde qui bouge à toute allure?

Là aussi, les situations sont contrastées. En Afrique du Sud, étant certes « blanche » mais décomplexée de l’historique de colonisation du pays (principalement les anglais et les néerlandais) – j’ai travaillé à la passation de connaissance et la formation des équipes. Au Gabon, le contexte est différent, mais ayant passé une dizaine d’années en Afrique, je me sentais moins « pièce rapportée » que si j’étais arrivée directement d’Europe.

  •        Dans quel champ de métier pensez-vous que de jeunes Européens pourraient se former pour ensuite s'impliquer en Afrique ? Quelles compétences développer?


Plus qu’un champ de compétences, je recommande le programme des Volontariats 
Internationaux en Entreprise. C’est un programme qui s’adresse aux jeunes diplômés (moins de 28 ans) et qui permet de partir en expatriation, ce qui est généralement réservé à des profils plus seniors. Tout le monde y gagne :  l’entreprise car il y a des allégements fiscaux et le VIE ne fait pas partie de ses effectifs, le VIE car il part en expatriation, généralement sur un poste et avec des responsabilités qu’il n’aurait pas eu en restant en Europe. Sur le plan personnel, le VIE est une aventure extrêmement enrichissante : sortir de sa zone de confort, découvrir d’autres cultures, pratiquer une langue étrangère quotidiennement…

  •  Que vous a appris votre propre trajectoire en Afrique après Sc. Po ? L'utilité de ces études pour votre métier actuel ?

Je crois que Sciences Po m’a avant tout donné une certaine ouverture d’esprit mais également de nombreuses clefs afin de comprendre mon environnement quel qu’il soit. Je me suis spécialisée en finance d’entreprise et je travaille dans la finance. Cependant, à différents niveaux, il est important pour moi de comprendre les enjeux politiques, sociaux et légaux qui m’entourent. C’est ce que m’a apporté la formation pluridisciplinaire de Sciences Po.

  •   Comment perçoit-on autour de vous la crise sanitaire actuelle ? Quel est son impact économique ? Les évolutions possibles ?

La crise du Covid est très dure pour les populations du continent africain tant au Gabon qu’enAfrique du Sud. Les garde-fous que nous avons en Europe tels que l’assurance maladie, l’assurance chômage et la retraite, n’existent pas ou très peu en Afrique. Par ailleurs, l’économie informelle des petits boulots payés de la main à la main, au mois le mois est chose courante. Ainsi, lors de chocs économiques tels que celui concomitant à la Covid, ces populations sont les premières à absorber le coup et à se retrouver sans aucun moyen de subsistance. C’est d’autant plus grave que leur niveau de revenu extrêmement faible ne leurs permets pas de faire des économies.

Si le sujet de l’impact de crise Covid en Afrique vous intéresse, je vous invite à lire le dernier livre de Sophie Bouillon, journaliste que j’ai connue à Johannesburg et qui réside depuis 2016 à Lagos au Nigeria : « Manuwa Street »[2].

  •        Est-ce que les perturbations du climat sont un "sujet"? Est-ce que cela se manifeste dans le vécu des pays où vous vivez ou avez vécu ? Si oui, sous quelles formes ? 

Malheureusement, le sujet reste très souvent un « first world issue », une problématique des pays développés pour le citoyen « lambda ». En effet, l’attrait des plaisirs matériels difficilement accessibles ou auxquels ils ne peuvent accéder que depuis peu (véhicule…) prime sur les considérations environnementales.

Par ailleurs, dans l’arbitrage du développement d’infrastructures (routes…) de la part des gouvernements, on ne trouve que rarement des propositions « vertes » telles que des usines de recyclage ou autre…

A noter cependant, que nombres d’entreprises installées en Afrique développent depuis peu des niveaux d’exigences proche des niveaux européens en matière de gestion environnemental. Malgré tout, à quoi sert le tri sélectif s’il n’existe pas d’usine de traitements appropriés ?

Les Alumni remercient vivement Anne pour la richesse et l'ouverture de son témoignage, sa contribution très utile aux "regards croisés" des anciens élèves sur le monde tel qu'il est. Nous lui souhaitons très belle continuation dans sa trajectoire personnelle. 


[1] Groupe désignant les 5 économies émergentes les plus importantes au monde : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (South Africa en anglais)