Dans Kaboul Disco , son
savoureux diptyque consacré à son expérience de dessinateur en Afghanistan,
Nicolas Wild racontait « comment je n’ai pas été pris en otage par les talibans ».
Aujourd’hui, dans Kaboul Requiem , il livre le récit du journaliste britannique
Sean Langan détenu par un groupe d’Al-Qaida. L’aventure frappée au sceau de la
réalité.
Il s’était jeté dans la gueule du loup. Journaliste pour la chaîne britannique
Channel 4, Sean Langan était allé chercher le scoop, en mars 2008, dans
une zone tribale au nord du Pakistan. Son objectif : rencontrer le chef
d’un groupe de talibans inféodés à Al-Qaida.
Mais le reportage allait rapidement virer au cauchemar : pour les
talibans, Sean Langan était une proie de choix. Car depuis qu’il avait couvert
en exclusivité pour la presse occidentale l’intervention de l’armée soviétique
à Vilnius, le 7 janvier 1991, dans une Lituanie lancée sur la voix de
l’indépendance, le journaliste était devenu une figure de la presse
britannique.
Le groupe du mollah Siraj Haqqani, planqué dans les montagnes à cheval
entre l’Afghanistan et le Pakistan, ne pouvait rêver meilleure occasion
d’attirer l’attention sur lui. Après trois mois de détention, d’incertitude sur
son sort, Sean Langan sera finalement relâché.
La prise d’otage en genre littéraire
Une trajectoire qui ne pouvait laisser indifférent Nicolas Wild. On connaît
l’intérêt qu’il nourrit pour l’Afghanistan depuis qu’il y a séjourné de 2005 à
2007. Travaillant pour une agence de communication, il y avait notamment mis en
BD la nouvelle constitution du pays.
De cette expérience, l’auteur alsacien, formé à l’atelier d’illustration
des Arts Déco, avait livré un roman graphique en deux tomes, Kaboul Disco (chez
La Boîte à bulles), beau succès de librairie, totalement justifié tant le
regard de Nicolas Wild se révélait à la fois acéré sur le quotidien de
l’Afghanistan, que décalé, porté par une distance ironique qui apportait toute
sa saveur à son récit. Le sous-titre en témoignait : Comment je ne me suis
pas fait kidnapper en Afghanistan.
« L’enlèvement d’Occidentaux était devenu une spécificité nationale.
Et une fois libérés, les ex-otages s’empressaient de publier leur récit. Cela
devenait un genre littéraire en soi… », s’amuse-t-il. Échappant à ce sort
redoutable, Nicolas Wild effectuera un second séjour, en 2009, à Kaboul :
« Très court. Juste deux semaines pour y présenter Kaboul Disco. J’avais une
centaine d’exemplaires. Tout était parti en une soirée ! Mais sur place,
la situation avait bien changé. Cela s’était considérablement dégradé. Il y
avait des barrages partout, avec des mercenaires surarmés. Les restaus sympas
avaient fermé… ».
À l’entendre, le Kaboul de 2005/2007 relevait du havre de paix, d’une
terre où régnaient le calme et la félicité. Rires de Nicolas Wild. Qui
convient : « Oui, c’était déjà assez risqué à ce moment-là. »
Depuis son dernier séjour à Kaboul, ce que Nicolas Wild appelle sa
« nostalgie afghane » s’est passablement dissipée et il ne pense plus
jamais retourner en Afghanistan. Mais il ne pouvait cependant demeurer
indifférent à la mésaventure de Sean Langan qu’il a eu l’occasion de croiser à
deux reprises. « La première fois, c’était en 2012, lors d’un week-end
d’anciens d’Afghanistan, à la campagne. Je l’ai revu ensuite à Paris. Il
m’avait raconté son histoire d’enlèvement. Comme de mon côté j’avais évoqué
comment je ne m’étais pas fait kidnapper, j’ai trouvé que c’était une bonne
idée de passer à quelqu’un qui n’avait pas eu ma chance », explique-t-il.
C’est donc un roman graphique à deux signatures qu’il nous livre dans
Kaboul Requiem , joliment sous-titré Un thé avec les talibans. C’est que durant
ses trois mois de détention, Sean Langan en a bu des thés, sous le regard
vigilant de gardiens armés jusqu’aux dents. Ce nouvel opus renforce encore
l’image que s’est peu à peu forgée Nicolas Wild de spécialiste de cette région
du globe à l’actualité si rude : « C’est vrai qu’il est difficile
pour moi de fermer la porte de l’Afghanistan. D’ailleurs, maintenant, je
n’arrête pas de croiser des Afghans réfugiés en France qui me proposent de
raconter leur histoire ».
Comme pour en prendre le contre-pied, ses trois prochains livres n’auront
rien à voir avec ce pays. Mais il s’agira toujours, pour cet auteur qui
pratique la BD à la façon d’un reportage, des récits inspirés de son expérience
de la réalité.
Et Nicolas Wild de résumer avec une dernière pirouette son rapport à la
bande dessinée : « Il y a tellement à faire avec la réalité. Pas
besoin d’avoir d’imagination ! »
Kaboul Requiem. Un thé avec les Talibans , chez La Boîte à bulles, 157
pages, 19 €.
DNA 16 décembre 2018