Charles Giraud quitté la scène le 8 septembre 2016.
Depuis 1963, Charles, l’homme
de télévision venu d’Algérie, avait adopté l’Alsace. L’Alsacien de hasard, comme il s’est qualifié lui-même, en a presque
sillonné toutes les routes et les variantes culturelles pour FR3, pendant près
d’un quart de siècle pour nourrir une filmographie d’une abondance difficile à
situer.
Et puis Monsieur Giraud, homme de télévision, avait envisagé de
prendre sa retraite à la fin des années 80. Mais Charles, l’âme artiste, ne l’a pas entendu de cette oreille. Il s’est laissé
entraîner dans les commémorations du 450è
anniversaire du Gymnase Jean Sturm en 1988. Pour le plus grand bonheur de l’histoire du théâtre au Gymnase
et de sa vie culturelle. Il ne l’a quitté qu’en 2010.
Charles y a mené un atelier
théâtre certes, mais aussi une république (ou royaume peut être ?)
autonome, assumée et bien gérée. Il excellait dans un double rôle : chef
d’orchestre et homme-orchestre.
Chef d’orchestre : il était celui qui assure
l’harmonie de la partition, qui donne la couleur, la vie, le ton, insuffle
l’esprit.
Homme-orchestre : l’avoir vu à l’œuvre en pleine préparation
de décors ne laissait aucun doute sur la polyvalence de ses talents
techniques et artistiques: menuisier, peintre, décorateur, tapissier,
éclairagiste, musicien, costumier, régleur du son…. que ne savait-il pas faire ?
Et d’ailleurs défaire et refaire à l’occasion, le panneau jaune pouvant devenir
rose en un tournemain, pour s’approcher de la perfection toujours recherchée.
Une quête constante au service du souffle qui devait passer …
Mais si Charles Giraud a transformé,
sublimé les objets ce n’était que pour mieux atteindre, transformer les êtres humains.
Il s’était fixé comme objectif
pour chaque représentation de ne pas laisser indemne, indifférent le spectateur. Il souhaitait qu’il
emporte en sortant de la salle une parcelle de bonheur de l’esprit, de culture,
de plaisir d’avoir pu partager un moment rare. La foule qui s’est pressée aux
multiples pièces présentées témoigne de la réussite de cette ambition
généreuse.
Le cœur de l’action de Charles
était cependant ailleurs : bon connaisseur des jeunes – ayant gardé lui-même quelques traits de caractère fort
juvéniles ! – Charles envisageait le théâtre comme un moyen pour aider à
construire des personnalités, à leur permettre de se révéler, de s’affirmer, de
respirer, d’apprendre le vivre-ensemble. Qui dira combien d’adolescents et
d’adolescentes lui sont redevables de cette part d’équilibre apprise dans sa
troupe ? Mais la scène est aussi pour lui une école de rigueur, de respect des
règles et des autres, d’exigence et de dépassement de soi. Et le maître
éveilleur peut se montrer maître exigeant, intransigeant sur la discipline du
corps et de l’esprit. Des murs, au Gymnase, se souviennent encore de certains
échos, Charles…
Charles a rapidement compris
que ce qui était possible avec de grands ados, devait l’être aussi avec leurs professeurs. C’est ainsi qu’est né en
2002 le projet des « profs en scène », bouillonnement, bouillonnement
qui a produit des représentations comme celle « je veux voir
Mioussov », première étape d’un roman à épisodes, riche d’émotions et de
moments de vie intenses.
Charles se disait
« réalisateur de télévision, metteur en scène, auteur et
dialoguiste ». Mais il avait une pratique superlative de ces métiers. Et la trame qui reliait ces mots était d’une
autre nature : il s’agissait de
souffle, de cœur et d’esprit.
Charles Giraud habitait des
métiers plus qu’il ne les exerçait et cherchait à rendre contagieuse sa généreuse passion, à inspirer, à partager, à élever.
Merci Monsieur Giraud, merci
Charles pour ce que vous avez été, pour tout ce que vous avez donné sans
compter, forme d’humanisme en action.
Là où vous êtes maintenant, vous avez
déjà dû vous faire une opinion et rencontrer le responsable des lieux, sur le
ton candide qui masquait peu vos intentions « c’est bien ce que vous faites là, les louanges, le décor, les
trompettes… mais vous permettez que je vous dise quelque chose ? »
Et là… il ne leur restera plus
qu’à se plier à votre gentillesse exigeante, à découvrir qu’un projet ne fait
qu’en masquer un autre … Personne ne va y réchapper ! Et l’esprit va
fuser… Votre œil qui pétille et votre sourire glisse…
A vous revoir l’artiste …