dimanche 2 octobre 2016

Au revoir, l'artiste...


Charles Giraud quitté la scène le 8 septembre 2016.

Depuis 1963, Charles, l’homme de télévision venu d’Algérie, avait adopté l’Alsace. L’Alsacien de hasard, comme il s’est qualifié lui-même, en a presque sillonné toutes les routes et les variantes culturelles pour FR3, pendant près d’un quart de siècle pour nourrir une filmographie d’une abondance difficile à situer.

Et puis Monsieur Giraud, homme de télévision, avait envisagé de prendre sa retraite à la fin des années 80. Mais Charles, l’âme artiste, ne l’a pas entendu de cette oreille. Il s’est laissé entraîner dans les commémorations du 450è anniversaire du Gymnase Jean Sturm en 1988. Pour le plus grand  bonheur de l’histoire du théâtre au Gymnase et de sa vie culturelle. Il ne l’a quitté qu’en 2010. 

Charles y a mené un atelier théâtre certes, mais aussi une république (ou royaume peut être ?) autonome, assumée et bien gérée. Il excellait dans un double rôle : chef d’orchestre et homme-orchestre.
Chef d’orchestre : il était celui qui assure l’harmonie de la partition, qui donne la couleur, la vie, le ton, insuffle l’esprit.
Homme-orchestre : l’avoir vu à l’œuvre en pleine préparation de décors ne laissait aucun doute sur la polyvalence de ses talents techniques et artistiques: menuisier, peintre, décorateur, tapissier, éclairagiste, musicien, costumier, régleur du son…. que ne savait-il pas faire ? Et d’ailleurs défaire et refaire à l’occasion, le panneau jaune pouvant devenir rose en un tournemain, pour s’approcher de la perfection toujours recherchée. Une quête constante au service du souffle qui devait passer …

Mais si Charles Giraud a transformé, sublimé les objets ce n’était que pour mieux atteindre, transformer les êtres humains.
Il s’était fixé comme objectif pour chaque représentation de ne pas laisser indemne, indifférent le spectateur. Il souhaitait qu’il emporte en sortant de la salle une parcelle de bonheur de l’esprit, de culture, de plaisir d’avoir pu partager un moment rare. La foule qui s’est pressée aux multiples pièces présentées témoigne de la réussite de cette ambition généreuse.

Le cœur de l’action de Charles était cependant ailleurs : bon connaisseur des jeunes – ayant gardé lui-même quelques traits de caractère fort juvéniles ! – Charles envisageait le théâtre comme un moyen pour aider à construire des personnalités, à leur permettre de se révéler, de s’affirmer, de respirer, d’apprendre le vivre-ensemble. Qui dira combien d’adolescents et d’adolescentes lui sont redevables de cette part d’équilibre apprise dans sa troupe ? Mais la scène est aussi pour lui une école de rigueur, de respect des règles et des autres, d’exigence et de dépassement de soi. Et le maître éveilleur peut se montrer maître exigeant, intransigeant sur la discipline du corps et de l’esprit. Des murs, au Gymnase, se souviennent encore de certains échos, Charles…

Charles a rapidement compris que ce qui était possible avec de grands ados, devait l’être aussi avec leurs professeurs. C’est ainsi qu’est né en 2002 le projet des « profs en scène », bouillonnement, bouillonnement qui a produit des représentations comme celle « je veux voir Mioussov », première étape d’un roman à épisodes, riche d’émotions et de moments de vie intenses.

Charles se disait « réalisateur de télévision, metteur en scène, auteur et dialoguiste ». Mais il avait une pratique superlative de ces métiers.  Et la trame qui reliait ces mots était d’une autre nature : il s’agissait de souffle, de cœur et d’esprit.
Charles Giraud habitait des métiers plus qu’il ne les exerçait et cherchait à rendre contagieuse sa généreuse passion, à inspirer, à partager, à élever.

Merci Monsieur Giraud, merci Charles pour ce que vous avez été, pour tout ce que vous avez donné sans compter, forme d’humanisme en action.

Là où vous êtes maintenant, vous avez déjà dû vous faire une opinion et rencontrer le responsable des lieux, sur le ton candide qui masquait peu vos intentions « c’est bien ce que vous faites là, les louanges, le décor, les trompettes… mais vous permettez que je vous dise quelque chose ? »
Et là… il ne leur restera plus qu’à se plier à votre gentillesse exigeante, à découvrir qu’un projet ne fait qu’en masquer un autre … Personne ne va y réchapper ! Et l’esprit va fuser… Votre œil qui pétille et votre sourire glisse…

A vous revoir l’artiste …