Comment Robert Wurtz, bachelier au Gymnase en 1959, est devenu un arbitre exceptionnel, qualifié par les Brésiliens de "Nijinski du sifflet":
Robert Wurtz a passé sa carrière à fouler les pelouses de France,
d’Allemagne, du Mexique ou d’Argentine en crampons. Désormais, c’est pieds nus
qu’il arpente le macadam de Climbach (Bas-Rhin) quand il va chercher son pain,
ou les chemins forestiers alentour quand il part en promenade. Plus besoin de
chaussures. Après tant d’années à « bourlinguer, tourner, foncer,
demander sans cesse : “Où je vais ensuite ?” », le petit homme
de 73 ans n’a plus la bougeotte.
« Le premier devoir du citoyen, c’est le calme », lui a-t-on dit
un jour. Si c’est vrai, alors Robert Wurtz (bien prononcer « vurtz »,
et non « vourtz ») est un citoyen modèle, tant sa vie d’aujourd’hui
illustre le concept de retraite paisible, entre nature, lecture, sudoku et
amer-bière-citron sur la terrasse de sa maison aux côtés de sa femme et de sa
fille. De quoi compenser l’agitation de sa vie d’avant, qui s’est achevée le 2
juillet 2007 par un AVC à l’issue du tournage de l’émission « Intervilles », où il avait été engagé
pour jouer le même rôle que celui qu’il occupa pendant trois décennies sur les
terrains de football : arbitre.
S’il est le seul homme en noir dont le patronyme soit célèbre en France,
c’est que monsieur Wurtz n’était pas un arbitre. C’était un
artiste. « Robert Wurtz se produira demain soir au stade de
Gerland », pouvait-on lire dans Le Progrès. On allait au stade
pour le voir, autant que les 22 joueurs qui gravitaient autour de lui.
Fils d’un clarinettiste et d’une artiste des chœurs à l’opéra du Rhin, Robert
Wurtz était un spectacle à lui tout seul, comme il le répète souvent, de sa
voix qui rappelle celle de Frédéric Mitterrand, l’accent alsacien en
plus : « Je faisais du théâtre là où il est interdit d’en
faire. »
Le Strasbourgeois se laissait volontairement décrocher des actions pour les
rattraper grâce à des sprints tonitruants, la foulée ample et bondissante. S’il
était sur la trajectoire d’une passe latérale, il esquivait le ballon à la
façon d’un torero, surtout lorsqu’il arbitrait à Nîmes. Pour détendre une
atmosphère hostile, il s’allongeait sur le terrain et faisait le mort, où
s’agenouillait devant un joueur ou un entraîneur pour l’implorer de garder son
calme, comme il le fit lors d’un PSG-Auxerre au Parc des Princes devant Guy
Roux, lequel, image mémorable, s’agenouilla à son tour. Wurtz quittait parfois
la pelouse sous l’ovation du public, auquel il répondait en serrant le poing
comme pour dire que c’est lui qui avait gagné le match.
En 1974, il part arbitrer une série de rencontres amicales au Brésil, dont
l’une oppose la Seleçao à la Roumanie. Les locaux mènent 2-0
au bout d’une heure, le match sombre dans l’ennui. Alors Wurtz commence son
numéro, enchaîne les sprints de 80 mètres sans raison particulière, et fait
étalage de sa gestuelle théâtrale. « Le public brésilien, qui
s’emmerdait parce qu’il ne se passait plus rien, a commencé à se dire :
“Mais qui c’est celui-là ?” A la fin du match, il y avait trente
journalistes qui m’attendaient. Le lendemain, l’un d’entre eux a écrit
dans O Globo que j’étais le “Nijinski du sifflet”, et ça a fait le
tour du monde. » Le quotidien allemand Bild lui
attribuera pour sa part le surnom de « Karajan ». En ex-Yougoslavie,
il sera, plus sobrement, « le Professionnel ».
·
image:
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Car on a tellement retenu le saltimbanque qu’on en a presque oublié
l’excellent arbitre, le meilleur de France en 1971, 1974, 1975, 1977 et 1978,
selon le vote des journalistes. Robert Wurtz aurait préféré être footballeur,
porter les couleurs du Racing Club de Strasbourg et enflammer la Meinau, lui
qui est né à 800 mètres de ce stade où, entre ses 5 ans et ses 15 ans, il n’a
loupé que deux matchs : « Le premier à cause de ma confirmation,
Strasbourg-Monaco, 5 à 0. Et le second, Strasbourg-Alès, en division 2, 9 à 3.
Il pleuvait, j’avais 40 de fièvre, j’ai pas pu y aller, j’ai pleuré. »
Mais pas assez doué techniquement, il s’est tourné vers l’arbitrage, à
moitié pour rester dans le milieu du foot, à moitié pour éviter de
grossir. « Au début, je n’y connaissais rien, mais je me
disais : “Tant que je serai à côté du ballon, on ne pourra pas dire que je
ne vois pas.” » Alors que ses prédécesseurs
travaillaient « presque endimanchés » et au trot, il fut le
premier arbitre à cavaler autant que les joueurs, et on le voyait parfois,
selon la jolie formule d’un confrère, « déborder l’ailier qui était
en train de déborder » : « Vous allez dire que je me
flatte, mais il paraît que j’ai révolutionné le système. »
Sa qualité lui valut d’officier lors d’une ribambelle de matchs au sommet
en France, d’une finale de Coupe des vainqueurs de Coupe (1976), d’une finale
de Ligue des champions (1977), de deux Euros (1976 et 1980) et, consécration
suprême, de deux rencontres de la Coupe du Monde 1978 en Argentine, laquelle
faillit pourtant lui passer sous le nez à cause d’une hépatite contractée
quelques mois plus tôt. Heureusement que les arbitres n’étaient pas soumis aux
contrôles antidopage lors de ce Mondial vécu sous
cortisone : « J’aurais été positif à exploser. »
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Cette Coupe du monde au pays du dictateur Videla, entre les agents secrets
planqués au Carlton où étaient logés tous les arbitres, et les visites guidées
en bus façon Corée du Nord, Wurtz « en garde le souvenir d’un service
militaire ». « Je suis content de l’avoir faite, dit-il, mais
ça n’est pas le meilleur moment de ma carrière. Les plus beaux souvenirs, ce
sont les matchs de tous les jours. Une ambiance à Nîmes ou à Bastia, ces choses
que je raconte avec plus de joie que les consécrations officielles où tout doit
être comme ci ou comme ça. Quand j’étais libre d’arbitrer à ma façon, j’étais
heureux. »
« Sa façon » lui a valu l’inimitié de beaucoup de gens en
costard, mais elle lui a attiré la sympathie non seulement des supporteurs mais
encore des joueurs, qu’il admirait. Il arrivait parfois que monsieur Wurtz leur
soufflât (il adore l’imparfait du subjonctif) de quel côté faire la bonne
passe, les dissuadât de tenter un tacle dangereux, ou leur glissât un mot de
réconfort s’ils venaient de tirer à côté. Inconcevable de nos
jours. « Aujourd’hui, je ferais deux matchs à ma façon, je me ferais
fusiller par la commission d’arbitrage. » Pour Robert Wurtz, être
arbitre, c’était diriger le jeu, pas seulement siffler et
sanctionner : « Sinon, autant être policier et faire la
circulation. »
L’arbitrage de Robert Wurtz est celui d’une époque révolue. Une époque
moins technocratique. Une époque où l’arbitre percevait 40 francs par match
(« plus les frais de déplacement et de nourriture »). Une époque où,
malgré d’inévitables « Aux chiottes l’arbitre ! » en
tribunes, celui-ci n’était pas l’adversaire de tout le monde comme cela semble
parfois être le cas désormais.
Wurtz n’est pas sûr qu’il pourrait arbitrer aujourd’hui, alors que les
hommes en noir se font tomber dessus tous les week-ends pour un oui ou pour un
non. « Nous avions plus le bénéfice du doute, grâce au manque
d’images. Il n’y avait ni ralentis ni Internet. Et je sais bien qu’aujourd’hui,
il y a un milliard en jeu à chaque but, mais faut pas exagérer non plus. Sur
une saison, il y a 38 matchs, les erreurs d’arbitrage finissent par
s’équilibrer. »
L’Alsacien a évidemment commis les siennes, et s’est parfois retrouvé dans
l’œil du cyclone. Son pire souvenir reste la finale de la Coupe de France 1973
entre Lyon et Nantes, au cours de laquelle il accorda au Lyonnais Lacombe le
but de la victoire (2-1), marqué après un contrôle de la main qu’il n’avait pas
vu. Le Nantais Couécou aura cette phrase, à la fin de la
rencontre : « C’est Ray Charles qui arbitrait ce
soir. » L’épisode vaudra à Robert Wurtz six mois de dépression, dont
il ressortira plus fort.
Chercheur en botanique au CNRS, chargé de relations publiques pour Eurest,
chargé de mission pour la région Alsace, laborantin… Robert Wurtz a exercé huit métiers en
parallèle de l’arbitrage, qui n’était à l’époque pas professionnel, mais aucun
ne lui a apporté autant que le rectangle vert qui lui servait de
scène. « “Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le
dois”, a écrit Camus. Je signe tout de suite. La joie, la souffrance, la
traitrise, l’injustice, se battre contre, voir comment l’autre réagit… J’ai
plus appris sur l’homme grâce à l’arbitrage qu’à mes études scientifiques de
troisième cycle, je vous le jure. »
Robert Wurtz a passé sa carrière à fouler les pelouses de France,
d’Allemagne, du Mexique ou d’Argentine en crampons. Désormais, c’est pieds nus
qu’il arpente le macadam de Climbach (Bas-Rhin) quand il va chercher son pain,
ou les chemins forestiers alentour quand il part en promenade. Plus besoin de
chaussures. Après tant d’années à « bourlinguer, tourner, foncer,
demander sans cesse : “Où je vais ensuite ?” », le petit homme
de 73 ans n’a plus la bougeotte.
« Le premier devoir du citoyen, c’est le calme », lui a-t-on dit
un jour. Si c’est vrai, alors Robert Wurtz (bien prononcer « vurtz »,
et non « vourtz ») est un citoyen modèle, tant sa vie d’aujourd’hui
illustre le concept de retraite paisible, entre nature, lecture, sudoku et
amer-bière-citron sur la terrasse de sa maison aux côtés de sa femme et de sa
fille. De quoi compenser l’agitation de sa vie d’avant, qui s’est achevée le 2
juillet 2007 par un AVC à l’issue du tournage de l’émission « Intervilles », où il avait été engagé
pour jouer le même rôle que celui qu’il occupa pendant trois décennies sur les
terrains de football : arbitre.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/football/visuel/2015/06/10/on-a-retrouve-robert-wurtz-l-artiste-au-sifflet_4645905_1616938.html#dJkrqtA84DiJYJxL.99
·
1941 Naissance le 16 décembre à Strasbourg (Bas-Rhin).
·
1969 Premier de ses 450 matchs de Division 1
(Sedan-Marseille).
·
1977 Finale de la Coupe des clubs champions européens, l’ancêtre de la
Ligue des champions.
·
1978 Deux matchs de la Coupe du monde en Argentine.
·
1990 Dernier match officiel (Montceau-Dijon, en Division 2).
·
1998 Première apparition dans « Intervilles ».