P
etit, Nicolas Wild voulait rester tranquillement chez lui
en Alsace, à manger du chocolat.
Heureusement, une succession
d’événements improbables a modifié son régime. Dont une scolarité au Gymnase
achevée par le baccalauréat en 1995.
Diplômé en juin 2000 de l’atelier
d’illustration des arts décoratifs de Strasbourg, il part étudier aux
États-Unis, puis va travailloter dans un orphelinat en Inde avant de trouver un
« vrai » métier à Kaboul. Il se dit « bon sang, je vais raconter ma life parce
que c’est trop fou », et ça donne Kaboul Disco.
Quelques albums plus tard (Ainsi se tut Zarathoustra, Kaboul Requiem, Mondo Disco…) le voici immergé
en Russie, en pleine guerre avec l’Ukraine. Un récit graphique dans lequel l’auteur alsacien cherche
à savoir « à quoi pensent les Russes »
Si les journalistes occidentaux n’entrent pas comme ils
veulent en Russie, les artistes y ont un accès bien plus libre. Fin juin 2022,
Nicolas Wild a pu le constater, prenant un vol à Dubaï à destination de
Saint-Pétersbourg avec un passage à la douane russe effectué sans anicroche.
Pourtant, derrière l’auteur de BD pointe la silhouette d’un journaliste
attentif à percer le quotidien d’un pays, à restituer des situations, à faire
parler des gens, de l’homme de la rue à l’intellectuel engagé…
Des portraits, des ambiances, des tranches de vie…
Trois mois plus tôt, il n’aurait jamais imaginé se retrouver
à enquêter, carnet de croquis à la main, sur l’état d’esprit des Russes alors
que l’Ukraine est à feu et à sang dans une guerre qui ne dit pas son nom. Tout
s’était décidé en Inde où Nicolas Wild se trouvait dans le cadre de rencontres
professionnelles. À la fin de son séjour, une agence de presse indienne,
spécialisée dans les reportages BD, séduite par son travail sur l’Afghanistan
et l’Iran , lui en avait confié la mission.
Ainsi est né À quoi pensent les Russes , récit se présentant
sous la forme d’un épais album en format à l’italienne. Dans son périple qui le
mène de Saint-Pétersbourg à Moscou, mais aussi dans la province de Bachkirie, à
l’est du pays, Nicolas Wild capte des ambiances, restitue des tranches de vie,
tente de saisir la vision qu’ont ses interlocuteurs de leur pays, mais aussi de
l’Occident et de l’Ukraine. Entre patriotisme claironnant et opposition
discrète au régime, la Russie y apparaît très divisée.
Comme le font les journalistes à l’étranger, il a eu recours
à une « fixeuse », une aide ô combien précieuse. « Dans un premier temps, on a
établi une liste abstraite de personnes à interviewer : un joueur d’échecs, un
ancien soldat qui a fait l’Afghanistan, des pro et anti-Poutine, des artistes,
un avocat, des militants LGBT… Ma fixeuse m’a ensuite envoyé une liste de
personnes réelles disponibles lors de mon séjour. À ces personnes-là se sont
ajoutés des Russes croisés par hasard durant le voyage », raconte Nicolas Wild.
De l’ancien élève des Arts Déco de Strasbourg (promo 2000),
né à Ingwiller et désormais installé à Lyon, on connaît la façon d’aborder des
sujets délicats dans un mélange de gravité et d’humour. Avec aussi une petite
touche d’autodérision qui apporte de la légèreté à des propos parfois glaçants.
Rencontre édifiante avec Daniel Berman, avocat spécialisé dans la défense des
prisonniers politiques. Ce qui dans la Russie de Poutine n’est pas une
sinécure.
À quoi pensent les Russes, par Nicolas Wild, éditions La
Boîte à Bulles, 144 pages, 19 €.
Extraits de l’article de Serge Hartmann, paru dans les DNA
le 19 octobre 2023.