La première chose
marquante qui me soit revenue à l’esprit, c’est la lettre de Monsieur le Directeur
du
Gymnase Jean Sturm en 1968 pour me faire part de mon premier emploi du temps
en tant que maître auxiliaire. La lettre, écrite à la main, commençait par
« cher monsieur » et m’énonçait les heures de service auxquelles
j’étais astreint.
Quelques années plus
tard, à l’annonce des résultats du CAPEPS, Martin Weber me faisait parvenir l’organigramme
par lettre dactylographiée commençant par ces mots « cher collègue ».
Cet exemple montre-t-il que nous vivions une époque (depuis révolue) de
méritocratie ?
Je reprends les lignes de
Jean-Paul Weber (page 428) dans « Histoire du Gymnase Jean Sturm » :
« En 1946, l'horaire réservé aux activités sportives est d’une heure
par semaine, par classe, pour les garçons ; les jeunes filles étant
regroupées, des classes de 6e à la 4e et des classes de 3e
à la terminale, pour le même horaire. L’enseignement est assuré par M. Hummel.
Lorsque l’horaire est porté à 2h hebdomadaires par classe, un surveillant, étudiant
en théologie, assure un certain nombre d’heures, puis M. Zimmer, instituteur en
8e, apporte son concours [en 1965]. L’enseignement des
jeunes filles est confié à Mme Klein [la même année ; les
filles ayant toujours été séparées des garçons]. C’est un enseignement très
traditionnel qui est mis en œuvre à la demande de la direction qui n’admettait
pas dans ce domaine un aspect ludique. Si, occasionnellement, des activités de
ballon étaient pratiquées, l’enseignant était rappelé à l’ordre, même s’il
avait pris soin de les programmer un mardi soir de 16h à 18h… »
Plus loin : « Déjà
à cette époque, les installations étaient très insuffisantes, les activités
devaient avoir lieu dans la salle de gymnastique exiguë donnant sur la petite
cour. Plus tard s'ajouteront 2 petites salles d'agrès. À partir de l'année 68,
avec l'horaire porté à 4h, le groupe des enseignants s'étoffe, le problème des
installations devient plus aigu. Nos élèves bénéficient de leçons de natation à
la piscine et ont, paraît-il, la réputation d'être bons nageurs. Les activités
se diversifient encore avec l'arrivée en 1968 de M. Tondre qui propose une
initiation au tennis et à l'escrime pendant 2 ans. Puis nos élèves accèdent au
stade [déjà fréquenté depuis des années] et à la patinoire. Les
activités sont nombreuses. Depuis la fin des années 70, le Gymnase profite de
certaines salles de sports qu'il loue à la ville ou à d'autres établissements
scolaires, mais celles-ci sont éloignées et leur location est parfois d'un coût
élevé. Des palliatifs au manque de locaux sont trouvés, séance de squash,
canoë, aviron. Dans ce domaine une solution urgente s’impose… »
Les
sports pratiqués sont encore très limités fin des années 60. Les activités
étaient plus fonction des conditions météorologiques que des instructions
Officielles de 1945 (puis 1967).
Ce n’est que plus tard que nous avons pu fonctionner par cycles d’activités. Un
cycle comptait 6 ou 7 semaines (demi-trimestre). Un niveau de classe
représentait 3 groupes. Pendant qu’un groupe se rendait à la patinoire, un
autre restait au Gymnase, un troisième au stade ou dans une salle de dépannage.
Plus tard encore, les cycles ont été gérés lors de réunions académiques de
coordination des établissements
utilisateurs des lieux de pratiques sportives
(stade de l’Ill, patinoire au Wacken, squash des Halles, gymnases privés - Aquiba
- ou municipaux - Branly). Même l’accès au stade, qui nous servait souvent de pis-aller
dans le froid, la neige ou la pluie, est devenu plus difficile d’accès.Au Gymnase, trois salles aux vitres cassables pouvaient nous abriter par les temps
les plus froids ou pluvieux. La « grande » qui servait historiquement
de salle de fête (remise des prix), autorisait la pratique du basket-ball ou du
volley-ball. La salle de gymnastique attenante était réservée pour les
acrobaties et la barre fixe. La salle dite d’agrès, qui abritait à demeure des barres
parallèles ou asymétriques, est devenue la salle de dessin. Elle se situait de
l’autre côté de la cour d’honneur. Comme la salle de « gymnastique »
aux dimensions d’une salle de classe ordinaire (!), elle permettait d’être au
sec et au chaud lorsque les conditions météorologiques étaient exécrables.
Dans la « grande salle » (10 mètres sur 20, avec son escalier
monumental en pierre), lors d’un match de volley, il n’était pas rare que
plusieurs carreaux soient cassés. Le rituel instituait que l’élève
« maladroit » allait chercher l’immuable concierge monsieur ERNST qui
venait balayer les morceaux de verre et sécuriser le trou béant, jusqu’à la
réparation, et jusqu’au prochain incident. Des travaux en 1994 ont permis d’équiper la « grande »
salle de carreaux incassables, mais, dans mon souvenir, l’escalier en pierre
monumental est resté en place.
Des projets pharaoniques,
probablement à l’époque du 450 e, nous ont fait gamberger quelques années. On
nous avait demandé de faire des propositions de pratique idéale de l’éducation
physique et sportive. Il a été question pendant quelques années d’un « gymnase
pour le Gymnase », et même d’un campus à Pourtalès avec stade et
piscine. Nous avons pu rêver quelques années… mais nos propositions doivent
dormir dans un tiroir de la Fondation.
Pour les séances longues de 2h (plein-air), la piscine municipale Boulevard de
la Victoire (plus tard les bassins de la Kibitzenau), nous hébergeait dans de
bonnes conditions. Puis la piscine de Schiltigheim permit de multiplier les
choix. Tous les élèves du collège et lycée se rendaient sur les lieux par leurs
propres moyens. Ce qui provoquait des étalements horaires presque
insurmontables, les premiers arrivant tôt, les moins motivés trainant un peu,
prétextant n’avoir pas été libérés « à l’heure ».

Jusqu’au jour où
des bus ont été affrétés pour rejoindre les lieux de pratique, tous lointains :
patinoire, stade, piscines, bassins d’eau vive au Heiritz puis au stade de l’Ill
(Strasbourg Eaux-Vives) pour le canoë-kayak, murs d’escalade, etc. Nous avions,
avec l’accord des clubs, organisé des cycles d’aviron au Rowing Club de Strasbourg
sous la houlette du Conseiller Technique Régional ; des cycles de tennis à
l’ASS où Philippe Carliez, enseignant-joueur exceptionnel, nous accueillait ;
des cycles d’escrime dans les locaux de l’armée sous la houlette du maître
d’armes René-Jean Vidal, et même dans le cadre de l’Association Sportive une découverte
du vol à voile (sur l’aérodrome du Polygone) avec des élèves téméraires de première.
Ces différents clubs qui nous ouvraient leurs portes étaient tous intéressés
par le réservoir de pratiquants que représentaient les sportifs de notre
établissement prestigieux. Nous avons, entre autres, été le premier
établissement de Strasbourg à proposer des séances de golf aux élèves de lycée,
confortés par le docteur Raber, président d’alors, et le « pro » d’Illkirch,
Michel Alsuguren - en 1978.

Pendant plus de 10 ans à partir de 1983 nous avons pu lancer et organiser,
grâce au proviseur Jean-Paul Weber, des classes de neige aux Menuires puis en
Autriche à Laterns dans le Vorarlberg avec les 3 classes de 6e. Rares
étaient les défections ! Nous partions avec 2 autocars de 54 places, ce
qui laissait une bonne dizaine de places pour l’encadrement, dont un médecin
attitré.
Les séjours de Kayak ont pu être mises en œuvre en 85 avec le niveau des 5e,
à Vogüé sur l’Ardèche
puis sur la Durance à Embrun.
Pour le niveau des 4e
nous avions pensé à organiser des classes d’Aviron en commençant par des séances
de plein-air à Plobsheim avec le CTR Pierre Hanselmann. Des pontons en bois avaient été fabriqués pour
pouvoir accoster sans danger, mais la logistique étant trop contraignante, nous
n’avons pas pu poursuivre l’expérience.

En 1997 des classes de
voile au lac de Madine ont regroupé le niveau des 3e.
Pour toutes les classes transplantées du collège, nous étions secondés par des
professionnels de grande
qualité. En particulier Jean-Paul Offner pour le ski
et Bruno Dazeur pour le canoë- kayak. Ils sont nombreux ces Moniteurs d’Etat
avec qui nous avons tissé des liens amicaux, et leur fidélité n’a jamais été
prise en défaut ! L’organisation était très chronométrée. Les cours par
les professeurs d’enseignement général volontaires alternaient avec des
demi-journées d’activités physiques.
Conjointement, dans le cadre de l’Association Sportive « à partir de
1954, sont organisés des stages de ski lorsque, dans l'année scolaire, il y a
des vacances de mardi gras. En 1986, a été organisé le 30e [voire 31e]
stage de ski » peut-on lire dans l’Histoire du Gymnase Jean
Sturm. En réalité, avant l’institution des vacances d’hiver en 1972 (année du
passage de l’interruption des cours du jeudi au mercredi), un embryon de
vacances d’hiver, sous la forme de quatre jours vaqués, est créé par le Front
Populaire. Mais, l’établissement s’octroyait une semaine pour
partir à la neige.
Martin Weber ne badinait
pas avec les traditions. Le trajet pour atteindre les stations de ski était
ponctué par un arrêt obligatoire à la gare de Genève pour qu’il puisse faire
honneur à un plat de spaghettis avant de repartir aux alentours de minuit… et parvenir
à l’aube à destination. Chamonix, Praz-sur-Arly, Super-Besse dans le Puy-de-Dôme,
puis le début d’une longue période aux Menuires ; enfin, nombre de domaines
skiables en Autriche.
Nous avons, à partir de
1974 (centenaire de l’école), renoué des liens solides avec l’École Alsacienne
de Paris. Chaque année nous allions ou nous recevions des élèves de collège
pour une rencontre essentiellement sportive (athlétisme et football), puis nous
avons associé de la musique et du théâtre au projet. L’Association des Parents
d’Elèves était toujours partie prenante de ces rencontres
« historiques ».
Certains anciens se rappellent probablement les matchs profs-élèves de football
en fin d’année, souvent arbitrés par l’ancien élève Robert Wurtz, devenu
l’arbitre international que l’on sait ! Puis le basket s’est rajouté,
permettant au groupe de professeurs qui s’entraînaient chaque semaine, de ne
pas perdre complètement la face…
Des projets, souvent
interdisciplinaires ont vu le jour, toujours soutenus, facilités, encouragés,
par Martin Weber puis par Jean-Paul Weber, dont certains peu ordinaires... Une
année nous avons commandé et entreposé dans les caves du Gymnase 1 tonne (!) de
pommes, que nous distribuions à la récréation de 10 h, pour inciter les collégiens
à se nourrir de fruits. Plus tard nous envisagions de mettre en place des
distributeurs de berlingots de lait concentré qu’une entreprise alsacienne
connue était prête à nous fournir.
L’année scolaire 1986-87
nous avons, avec Mme Schlotter enseignant les Arts Plastiques, réalisé de A à Z
un YEARBOOK avec une société québécoise en prenant exemple sur l’Ecole Alsacienne
qui avait (déjà) un annuaire des anciens élèves (!) et une revue de grande
qualité « Sang Neuf ».
Un mot sur les Conseils
d’Administration de l’époque (devenus Conseils Intérieurs en 1971) qui pouvaient
se dérouler chez Martin Weber dans sa salle à manger où une collation était
servie par son épouse ou une secrétaire réquisitionnée. La coordination d’EPS pouvait
quant à elle, se dérouler devant un café, les premières années de ma présence
au côté d'Alfred Hummel avec qui j’ai gardé des relations privilégiées. Sa
disparition m’a beaucoup affecté.
Un dernier souvenir de
Martin Weber me revient en mémoire. Un jour, alors que je m’entretiens avec un
collègue, il nous interrompt, s’adresse à lui pour lui faire cette remarque
inattendue : « Monsieur…, vous penserez à aller chez le
coiffeur » ! Vous imaginez une telle remarque en 2023 ?
Je garde un souvenir ému
de ces trente années passées au Gymnase (1968 à 1998). Elles ont marqué ma vie
professionnelle et personnelle. Le Gymnase Jean Sturm est un établissement
exceptionnel. Je n’ai jamais retrouvé ce sérieux, cette liberté d’action, cette
ouverture sur le monde, ailleurs.
Je ne voudrais pas clore ces chapitres sans rendre un hommage appuyé aux trois
secrétaires de direction, Eliane, Fabienne et Angèle, mises régulièrement à
contribution pour des lettres, circulaires, dossiers conséquents lors de déplacements
et séjours à organiser.
Le secrétariat du Gymnase surpris en pleine activité - 2003
Les Alumni du Gymnase sont très reconnaissants à Gérard Tondre pour les tranches de vie de l'histoire du Gymnase qu'il nous a ainsi livrées. D'autres témoignages vont-ils suivre ? Nous l'espérons vivement.