Vaccinologue, directrice de recherche à l’Inserm, présidente du comité scientifique vaccin Covid-19 France, Marie-Paule Kieny a travaillé pendant plus de seize ans à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dont elle a été sous-directrice générale, chargée des systèmes de santé et de l’innovation.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, Marie-Paule Kieny étudie de
près l’état de la recherche sur les vaccins et les stratégies vaccinales en
cours d’élaboration. Pour Le Monde (14 novembre 2020), elle revient
sur l’annonce faite par Pfizer d’un vaccin efficace à 90 %, et répond aux
questions soulevées par l’arrivée prochaine d’un vaccin.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la vaccinologue Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l’Inserm, étudie de près l’état de la recherche sur les vaccins et les stratégies vaccinales en cours d’élaboration. Pour Le Monde, elle revient sur l’annonce faite par Pfizer d’un vaccin efficace à 90 %, et répond aux questions soulevées par l’arrivée prochaine d’un vaccin.
Bien sûr. Il faut saluer
l’exploit : nous savons désormais qu’il est possible de développer un
vaccin contre le Covid-19. On ne va pas bouder notre plaisir ! Cependant,
cette protection de 90 % doit être précisée par des données scientifiques.
Dans son communiqué de presse, Pfizer précise que la protection a été mesurée
entre sept et quinze jours après la vaccination, soit quand l’immunité des
patients est la plus forte. Or, celle-ci a tendance à diminuer avec le temps.
Va-t-elle se maintenir à ce niveau pendant des mois, descendre progressivement,
chuter brutalement ? On ne sait pas encore.
Nous attendons aussi des données sur
l’efficacité de ce vaccin sur différents types de population, notamment sur les
personnes âgées. Il faudra également déterminer s’il se contente de protéger
des symptômes de la maladie, ou s’il en empêche aussi la transmission. Quoi
qu’il en soit, c’est un chiffre très encourageant.
Tout dépend de la durée pendant laquelle
les doses devront être stockées avant d’être utilisées. Si Pfizer livre les
millions de doses commandées en une seule fois, nous risquons en effet d’avoir
un problème. Mais si le laboratoire est capable de livrer par exemple une fois
par mois, dans différentes régions du pays, alors la solution sera plus
gérable. Dans un cas comme dans l’autre, j’espère que les pouvoirs publics ont
fait preuve d’anticipation en commandant des congélateurs spéciaux, car je ne
suis pas sûre que ceux dont nous disposons dans nos laboratoires de recherche
soient en nombre suffisant.
Oui, il met la barre très haut. Mais
encore une fois, ce taux d’efficacité devra être réévalué dans la durée, comme
celui des autres vaccins d’ailleurs. Un candidat qui afficherait 60 %
d’efficacité une semaine après la vaccination, et maintiendrait ce pourcentage
six mois durant, pourrait s’avérer plus intéressant pour immuniser des
populations qu’un vaccin très efficace pendant un temps très court. Les gens
parlent souvent du vaccin. En réalité, nous allons vraisemblablement avoir des
vaccins, aux caractéristiques différentes.
Ce virus, on commence à le connaître –
la banque de données Gisaid recense 200 000 séquences, et il apparaît
qu’il mute tout le temps. Pour le moment, aucune de ses mutations ne lui permet
d’empêcher le travail des anticorps. Même la version mutée transmissible à
l’homme observée dans les élevages de visons, au Danemark, ne semble pas
présenter un risque pour la population. S’il mute de façon plus importante,
peut-être faudra-t-il adapter le vaccin périodiquement, comme on le fait chaque
année pour la grippe saisonnière.
Cela semble très improbable. On y était
parvenu avec le SRAS car on était intervenu beaucoup plus tôt dans la
progression du virus. Le SARS-CoV-2, responsable du Covid-19, est trop bien
installé pour que l’on puisse l’éliminer grâce à l’induction d’une immunité
collective par la vaccination. D’après une modélisation publiée dans la
revue The Lancet, il faudrait pour cela vacciner presque
100 % de la population mondiale avec un vaccin qui serait efficace à près
de 100 % pendant plusieurs années. On en est loin.
Oui, mais en mettant en place une
politique de sécurité drastique. Vu la prégnance du virus hors de leurs
frontières, cette solution n’est pas envisageable à long terme. C’est sûrement
pour cela qu’ils ont commencé à administrer leurs vaccins, quand bien même ils
n’ont pas encore démontré leur efficacité.
Je pense et j’espère que la situation va
se normaliser au cours du temps, mais il va falloir apprendre à vivre avec le
virus, comme nous le faisons depuis des décennies avec la grippe. La situation
sera vraisemblablement meilleure d’ici quelques mois. Nous aurons des vaccins,
grâce auxquels nous pourrons protéger les personnes vulnérables. Les malades
seront mieux traités grâce aux progrès réalisés par la recherche : les
corticostéroïdes permettent d’ores et déjà de diminuer la mortalité des
patients en situation critique, les anticorps monoclonaux à l’étude pourraient
améliorer la prise en charge des malades. Et des chimistes sont en train de
synthétiser des antiviraux qui pourraient avoir une activité directe sur le
virus.
Développer un nouveau médicament
spécialement pour le Covid prend du temps, mais cela va sans doute finir par
arriver – on a bien trouvé des traitements spécifiques qui ont
révolutionné le traitement des patients atteints par le VIH ou le virus de l’hépatite
C. Enfin, nous avons redécouvert l’importance des gestes d’hygiène comme le
lavage fréquent des mains, et cela change aussi la donne.
Très probablement au cours du premier
trimestre 2021. Mais on ne vaccinera pas la population en trois ou six mois. On
ne la vaccinera sans doute pas dans son ensemble d’ailleurs. Cela dépendra de
l’appétence des Français, des quantités de doses disponibles et des résultats
de chaque vaccin – l’Etat français, par le biais de la Commission européenne,
en a commandé auprès de plusieurs fabricants, mais rien n’indique que tous
aboutiront, ou seront également efficaces.
La vaccination, qui ne devrait pas être
obligatoire, se fera sûrement en plusieurs étapes. Les soignants pourraient
être prioritaires, car ils mettent leur vie en danger, et le principe de
réciprocité fait qu’il serait éthiquement correct de leur proposer le vaccin
dès que les produits seront homologués. Les personnes vulnérables, ou âgées de
plus 65 ans, devraient aussi faire partie des cibles prioritaires. S’il
reste des doses, elles pourront alors être proposées à tous ceux qui le
souhaitent.
En disant aux gens ce qui est. Il faut
être transparent sur les effets secondaires éventuels, sur l’efficacité des
vaccins après la vaccination, mais aussi dans les mois qui suivent, préciser
quelle population ils protègent bien, quelle population ils protègent moins
bien. Montrer que l’intention première des campagnes de vaccination n’est pas
d’aider l’industrie à faire du profit, mais d’assurer la santé publique.
Au contraire, c’est plutôt rassurant.
Cela indique que malgré le caractère d’urgence dans lequel sont réalisés ces
essais, les systèmes de contrôle fonctionnent aussi bien qu’à l’accoutumée. Car
ces interruptions ne sont pas rares. Les effets secondaires graves arrivent de
façon aléatoire dans tous les essais cliniques. A chaque fois, il convient de
regarder si ces effets sont associés au vaccin. Si le lien n’est pas établi,
les essais reprennent, avec une vigilance accrue sur l’émergence de nouveaux
cas d’effets secondaires du même type, même légers.
Il ne faut pas en avoir peur parce que
c’est nouveau. C’est dans les périodes de crise que l’être humain est le plus
créatif. Le vaccin contre Ebola était le fruit d’une nouvelle technologie lui
aussi. Avant d’être testé pour ce virus, il dormait dans les tiroirs de
scientifiques canadiens depuis dix ans, et n’en serait peut-être jamais sorti
sans cette épidémie.
Pour en savoir plus sur le brillant parcours de Marie-Paule Kieny: https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Paule_Kieny#Carri%C3%A8re