Trajectoire
peu ordinaire que celle de Baran Iscen. Ses résultats scolaires en collège n’ayant
pas conduit à une admission directe en 2de au Gymnase, il obtient un entretien avec
le Directeur. Ce dernier se laisse
convaincre par la détermination et la capacité de réflexion de Baran.
Les
débuts en classe de Seconde s’avèrent difficiles, mais l’acharnement au travail
du jeune Gymnasien et ses capacités d’assimilation des connaissances lui permettent
de surmonter les obstacles et de combler ses lacunes, notamment culturelles. Le
cycle Première et Terminale est franchi sans encombre pour atteindre une mention
TB au baccalauréat de la session 2015.
Voici
le récit d'un parcours singulier, illustration d’un « élitisme républicain »,
composante essentielle dans une démocratie.
Fils de restaurateurs de Neudorf, Baran Iscen a été accepté au sein de la
prestigieuse université de Berkeley, aux États-Unis. Il s’envole ce dimanche
pour deux ans d’études et rend hommage à ceux qui jusqu’ici ont pavé son
chemin.
Il n’est pas trop du
genre à se mettre en avant. Quand Baran Iscen nous a contactés une première
fois, il y a quelques semaines, c’était parce qu’il ne voyait plus d’autre
solution qu’un financement participatif pour boucler son budget, les frais de
scolarité à Berkeley, où il venait d’être accepté dans le cadre d’un double
cursus proposé par Sciences Po Paris, s’élevant à près de 100 000 $ pour deux
ans.
Puis il s’était
ravisé, estimant la démarche potentiellement « indécente », « […] beaucoup
étant aujourd’hui dans notre pays bien plus légitimes, qu’il s’agisse des
migrants ou des étudiants précaires ». Exit, donc, la cagnotte Leetchi.
D’autant qu’après de longs mois de recherches, il avait enfin – « et par
relations uniquement » – trouvé une banque prête à le suivre dans ses projets
États-Uniens. De quoi compléter la subvention de 45 000 € que lui avait déjà
octroyée la Fondation de la Légion d’honneur (dans le cadre de ses parrainages
d’élèves méritants).
Guidé par ses rencontres
Ce mercredi, attablé à
la terrasse du restaurant familial, rue de Thann, devant un père enthousiaste,
fier et très ému à l’idée de voir l’aîné de ses trois enfants partir étudier
dans une prestigieuse université californienne – 3e mondiale au
classement de Shanghai 2016 –, le jeune homme de 19 ans prône une fois encore
la modération et fustige les « excès de romantisme » du papa. Oui, il est
heureux de partir vivre « l’aventure américaine » ; mais non, il n’a pas le
sentiment d’être exceptionnel. Tout au plus s’estime-t-il « extrêmement
chanceux » et admet-il l’importance des rencontres qui ont jalonné son jeune
parcours.
À commencer par ses
parents, Zahide et Wali, tous deux d’origine kurde. Arrivé en France en 1990,
le père a un temps travaillé pour le patron du Napoli, avant de lui racheter le
restaurant en 1998. « Baran est né dedans », résume celui qui, malgré des
moyens modestes, a toujours voulu donner à ses enfants « une vie meilleure et
un autre horizon ». « J’ai vécu l’envers du décor du restaurant », explique
Baran. « Et très tôt, comme l’écrit Sartre dans « Les Mots », j’ai eu le goût
de lire et d’apprendre… »
Il fréquente l’école du Neufeld, puis l’école Sainte-Anne, avant d’intégrer en
seconde le Gymnase Jean- Sturm. Il se souvient encore de son premier entretien
avec le proviseur, M. Mielcarek. « Il m’avait prévenu que je serai confronté à
beaucoup d’élèves au profil sociologique différent du mien, que je devrai être
très déterminé, mais ne pas faire des autres mes ennemis. Parce qu’on ne
réussit pas contre quelqu’un, mais pour soi. » Baran a emporté cette réflexion
dans sa besace, comme il a su tirer parti d’autres rencontres.
« J’ai toujours eu la
chance de croiser des professeurs qui m’ont soutenu et élevé », explique-t-il.
Ainsi de M. Alati, qui lui a fait aimer les mathématiques en les enseignant «
de manière plus ludique, avec de la musique classique en fond sonore ». Ou de Mme Carthé, son professeur de français en première, «
qui a su [nous] transmettre son amour de la littérature ». Avec elle, il a
découvert Michel Serres, Voltaire, mais a aussi pu partager ses coups de cœur
pour Kundera, Philip Roth ou l’écrivain kurde Yachar Kemal. Quant à Mme Valero, en le poussant à s’inscrire au Concours
général en terminale, elle lui a permis d’approfondir sa connaissance de la
langue anglaise, ce qui en Californie lui sera bien utile.
« L’école devrait permettre à chacun de trouver sa voie »
Baran a obtenu une
mention Très Bien au bac (S), a longtemps hésité entre une prépa à Henri IV et
Sciences Po. « J’ai fait mon choix en raison du caractère public de l’école et
du côté transdisciplinaire des enseignements. Des horaires aussi, qui laissent
du temps à chacun pour cultiver son jardin. » Durant ses deux premières années
d’étude, il a effectué des stages au cabinet du président de la République – «
sous François Hollande, une autre rencontre marquante » – et à celui du
ministre de l’Économie et des Finances, à Bercy.
À Berkeley, il a
choisi les mathématiques et l’économie comme matières principales. Baran aborde
aujourd’hui son « aventure américaine » plein de confiance et d’optimisme,
conscient que, même sous l’ère Trump, « la Californie reste un Eldorado ».
Convaincu aussi qu’il reviendra en France. « J’estime que je dois quelque chose
à l’État et, quoiqu’il arrive, je voudrais être utile au plus grand nombre. »
Et qui sait, une autre rencontre guidera peut-être ses pas… À 15 ans,
impressionné par son livre « Demain, qui gouvernera le monde ? », il avait
écrit à Jacques Attali. Étonné, ce dernier lui avait répondu, et avait noué une
relation épistolaire avec le jeune homme avant de l’inviter à le rencontrer.
« Aujourd’hui, j’ai
plein d’idées et de projets. Mais l’école devrait permettre à chacun de trouver
sa voie, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Mon parcours n’est
qu’un exemple parmi tant d’autres. Il y a plein de voies possibles et une fois
que l’on a trouvé la sienne, quelle qu’elle soit, chacun peut réussir ! »
Valérie
Walch - DNA 13 août 2017